Qu'est-ce que l'Accord Multilatéral sur l'Investissement (AMI) ?

 

 

 

 

En septembre 1998, une commission remettait au gouvernement français un rapport sur l'Accord Multilatéral sur l'Investissement (AMI) [1].

Le présent document, en reprenant, de manière synthétique, les grandes lignes de ce rapport, va vous permettre de comprendre ce qu'était cet AMI et pourquoi il a suscité tant de protestations au sein de la société civile.

 

 

Le rapport de la Commission commençait par définir ce qu'était l'AMI : C'est un " accord [qui] vise à libéraliser les investissements (tous les investissements) et à mieux protéger les investisseurs. Les négociations ont commencé en avril 1995, à l'OCDE. Elles ont été suspendues en avril 1998 en raison des vives oppositions suscitées par le projet dans sa forme actuelle. "

La Commission rappelle l'ampleur des contestations qui ont surgi suite à ce projet d'accord :

La contestation " est apparue simultanément dans plusieurs pays. Le Gouvernement français n'est pas seul confronté à une remise en cause de l'AMI. La même opposition se manifeste, avec autant de force, aux Etats-Unis, au Canada et dans certains pays de l'Union Européenne. [...] En France, le secteur culturel et audiovisuel est naturellement à la pointe de la contestation. Mais la résonance du discours hostile à l'AMI témoigne d'une inquiétude plus large et plus fondamentale. "

" L'AMI marque [...] une étape dans les négociations économiques internationales. Pour la première fois, on assiste à l'émergence d'une "société civile mondiale", représentée par des organisations non gouvernementales, qui sont souvent implantées dans plusieurs Etats et communiquent au-delà des frontières. Cette évolution est sans doute irréversible. "

" L'accord est devenu un symbole. Il cristallise les revendications et frustrations de la société civile vis-à-vis de la mondialisation. "

Le sérieux de la société civile est souligné : " Sur un sujet pourtant très technique, les représentants de la société civile nous sont apparus parfaitement informés, et leurs critiques bien argumentées sur le plan juridique. ". La Commission précise que l'opposition à l'AMI n'était pas une opposition bornée au principe de l'investissement étranger : " Il faut le souligner, nous n'avons pas rencontré d'hostilité de principe à l'investissement étranger. L'intérêt de l'investissement étranger pour l'économie française, notamment en terme d'effets sur l'emploi, a été évoqué par de nombreux intervenants. Le mot de "délocalisation" n'a été (à une exception près) jamais prononcé. L'objectif général de règles internationales s'appliquant à l'investissement étranger n'est contesté par personne. " Cet accord ne traite en effet pas des " flux financiers à caractère spéculatif ", cible principale des mouvements comme ATTAC, mais de " l'investissement direct, beaucoup plus stable ", contre lequel la société civile n'a pas d'animosité particulière.

 

 

Pourquoi l'AMI a suscité de telles réactions négatives :

1) L'AMI a d'abord suscité des réactions négatives parce qu'il accordait des pouvoirs considérés comme trop importants aux investisseurs étrangers. L'accord prévoyait en effet la possibilité pour les investisseurs d'attaquer les Etats devant une instance internationale. " Pour la première fois, dans un accord multilatéral à vocation universelle, il met, à la charge des Etats, des obligations absolues : [...] il met en place un système de règlement des différends qui permet à ces investisseurs de contester et d'attaquer directement les Etats devant une instance internationale. Il ouvre donc la voie à la création jurisprudentielle d'un nouveau droit international au seul bénéfice des entreprises étrangères. "

2) Une autre spécificité de l'AMI est qu'il prévoyait des dispositifs originaux dont le but était d'assurer une "meilleure" libéralisation des secteurs économiques.

L'un de ces dispositifs est le " principe des réserves " : " [...] l'AMI ne fonctionne pas, comme les accords conclus dans le cadre du GATT ou de l'OMC, sur le principe des listes positives [...] mais sur le principe des réserves (méthode dite "Top-Down") : l'ensemble des secteurs économiques sont libéralisés sauf les exceptions figurant dans la liste déposée par chaque Etat ".

Un autre des dispositifs qui aurait permis de favoriser cette libéralisation est l'" effet de cliquet ". Comme l'explique la Commission, il ne s'agit rien de moins que d'" une disposition [...] qui permet de consolider automatiquement toute mesure de libéralisation, c'est-à-dire de la rendre irréversible ".

3) La Commission explique aussi que les politiques ont été non seulement écartés de l'élaboration de cet accord, mais qu'ils ont aussi été désinformés : " Dans le cas de l'AMI, cette méthode n'a pas permis aux gouvernements d'exercer leur responsabilité politique sur des sujets pourtant essentiels. La totalité des travaux s'est déroulée au sein du groupe de négociation, lui-même démembré en plusieurs sous-groupes techniques. Les communiqués soumis à l'approbation des Ministres se limitent, s'agissant de l'AMI, à la répétition annuelle des mêmes généralités. A aucun moment, les questions évoquées plus haut n'ont été portées par le Secrétariat à l'attention des Ministres, encore moins fait l'objet de débats. "

Par exemple, pour ce qui est des trois points majeurs de l'AMI évoqués ci-dessus (possibilité pour un investisseur d'attaquer un Etat, principe de réserves et effet de cliquet), la Commission explique que l'information n'est jamais remontée jusqu'aux politiques (!) ou alors, de manière très "opaque" : " Sur [les] deux points [suivants], aucun choix politique clair n'a été soumis au jugement des Ministres : l'effet de cliquet n'est jamais mentionné dans les communiqués ministériels, non plus que le règlement des différends investisseur-Etat. Quant à l'approche "top-down", elle n'est évoquée que dans un rapport technique annexé à la déclaration ministérielle de 1995. "

4) Un autre reproche formulé à l'encontre de l'OCDE est que, avec l'AMI, elle débordait du cadre qui était le sien (en s'arrogeant des pouvoirs qu'elle n'avait pas). Autrement dit, elle n'aurait jamais dû donner naissance à un tel accord. " L'OCDE n'a pas été créée pour servir d'enceinte à la négociation de grands accords économiques internationaux. Son expérience, en ce domaine, est limitée aux accords – très techniques – sur les crédits à l'exportation et la construction navale, à différents codes sans force obligatoire, enfin, plus récemment, à la convention internationale contre la corruption. Ses procédures sont construites pour favoriser la concertation et l'échange de vue informel, pas pour formaliser des engagements contraignants ou opérer les choix stratégiques qui marquent l'évolution d'une négociation. "

Pour toutes ces raisons, la Commission fait état du " sentiment, largement répandu, d'une négociation secrète, voire clandestine " et parle d'ailleurs elle-même " des habitudes de secret " de l'OCDE.

5) L'accent a aussi été mis par certains sur les dangers que pouvait représenter l'AMI au niveau des droits syndicaux. Ainsi, " FO [...] souligne [...] les dangers de certaines dispositions de l'accord pour la liberté syndicale et le droit de manifester (la "protection contre les troubles", notamment). " La Commission reprend d'ailleurs cette critique à son compte en affirmant que la rédaction " de l'article sur la " protection contre les troubles " [...] semble ouvrir droit à indemnisation des investisseurs étrangers en cas d'exercice du droit de grève ou de manifestation ".

6) Enfin, le CNPF ainsi que la plupart des fédérations professionnelles, quant à elles, même si elles se déclaraient " favorables " à l'accord, contestaient les avantages réservés aux Etats-Unis. " La nécessité d'obtenir un équilibre des concessions entre l'Europe et les Etats-Unis a [...] été soulignée par l'ensemble des interlocuteurs, qui ont été frappés par l'ampleur des réserves américaines. Nos interlocuteurs ne recommandent pas la signature d'un accord déséquilibré au profit des Etats-Unis ".

 

La Commission explique que, pour toutes ces raisons, malgré une " certaine diversité d'opinion ", " le soutien à l'AMI dans sa forme actuelle est limité et, quand il existe, conditionnel ".

 

 

Les (pro)positions de la Commission sur le sujet :

Il est à noter que la Commission – pourtant constituée par un gouvernement de gauche – n'est pas du tout opposée au principe de la libéralisation de l'investissement international, même si elle émet des réserves sur les moyens d'y parvenir. Ainsi, elle écrit : " [...] on doit se demander si l'on peut atteindre les objectifs de libéralisation par un accord plus simple et moins attentatoire à la souveraineté des Etats [...] ". Elle conclut que " [la] négociation devrait repartir – si cela est possible – mais sur de nouvelles bases pour aboutir à un accord différent ". Elle précise qu'elle souhaite un accord plus soucieux de social et d'environnement : " Dans le désordre actuel de la mondialisation, il y a un intérêt de tous les pays à l'établissement de règles stables et équitables. Un accord peut offrir l'occasion de franchir une étape dans la voie d'une meilleure régulation de l'économie mondiale en stabilisant les régimes d'investissements et en réalisant des progrès sur les normes sociales et environnementales ".

La Commission, pour relancer les négociations sur la libéralisation de l'investissement, ne présente que deux possibilités : " soit réamorcer la négociation à l'OCDE, avec pour objectif d'obtenir une réorientation fondamentale ", " soit demander l'ouverture d'une négociation à l'OMC, l'OCDE conservant un rôle d'expertise et de soutien ". Remarquons que les deux seules institutions proposées pour la reprise des négociations sont plus connues pour leurs positions libérales que pour leurs positions sociales ou environnementales...

La Commission affirme qu'un nouvel accord " n'est ni urgent, ni indispensable sur les territoires couverts par l'OCDE ", " où est localisé 80% du stock des investissements français à l'étranger ". Mais elle ajoute que l'intérêt d'un tel accord réside dans les pays émergents : " la situation est moins satisfaisante dans les pays émergents, vers lesquels se sont dirigés en 1997 17% des investissements français ". Les pays pauvres sont donc clairement la cible désignée d'un nouvel accord : " en termes économiques, donc, un accord est positif s'il assure l'ouverture des pays émergents dans des conditions non discriminatoires ". Là, on a du mal à ne pas imaginer que cet accord ne sera pas un moyen supplémentaire pour les transnationales de continuer à "piller" les richesses des pays pauvres [2]. La Commission parle certes de " l'inclusion des normes sociales et environnementales dans le texte de l'AMI " mais c'est pour noter que cela " risque de supprimer – ou du moins, de réduire fortement – l'intérêt des pays émergents pour cet accord ". Autrement dit, si on introduit de telles clauses, l'accord ne servira à rien.

Pour finir, la Commission propose toute une série de mesures pour éviter de reproduire les mêmes erreurs lors d'un prochain accord : " consultations ad hoc des milieux concernés " (dont syndicats, associations et ONG), " contacts réguliers avec la presse ", création par les deux Assemblées " d'une structure chargée de suivre les négociations économiques les plus importantes ", renforcement des moyens et des effectifs de l'équipe interministérielle chargée de la négociation, développement des " contacts bilatéraux " pour des " échanges de vues avec nos homologues des autres pays "...

 

 

Notes :

[1] " Rapport sur l'Accord multilatéral sur l'investissement (AMI) – rapport intérimaire – septembre 1998 " par Catherine Lalumière, députée européenne, Jean-Pierre Landau, inspecteur général des finances, et Emmanuel Glimet, conseiller référendaire à la Cour des Comptes.

[2] " La dette du Tiers Monde implique chaque année des transferts massifs du Sud vers le Nord : plus de 300 milliards de dollars en 1999, alors que l'Aide Publique au Développement (APD) octroyée par les pays riches a atteint son plancher historique avec moins de 50 milliards. " (Arnaud Zacharie, chargé d'études au Comité pour l'Annulation de la Dette du Tiers Monde)

 

 

 

 

 

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