L'ECOLE
PROSTITUEE
(extraits de L'école prostituée – L'offensive des
entreprises sur l'enseignement, Nico Hirtt, Editions Labor/Espace de
Libertés, 2001, 95 pages, 9 euros)
En
résumé… " Depuis la fin des années
quatre-vingt, on assiste dans l'ensemble des pays industrialisés à une
soumission croissante de l'enseignement aux lois du marché.
"Employabilité", "flexibilité", "formation tout au
long de la vie", "apprendre à apprendre" constituent les
maîtres mots de la novlangue pédagogique néo-libérale dictée par l'OCDE ou la
Commission européenne et relayée par nombre de responsables de l'éducation.
Cette évolution en cours, Nico Hirtt ne se contente pas de la décrire, pièces
à l'appui : il donne des armes pour une résistance collective, dans
laquelle les enseignants de tous niveaux ont leur part active à jouer. " (Nico Hirtt, L'école prostituée,
Labor/Espace de Libertés, 2001, quatrième de couverture) L'auteur Nico Hirtt est
professeur de physique dans l'enseignement secondaire en Belgique. Il est
l'auteur de plusieurs ouvrages sur la marchandisation de l'Ecole, dont Tableau
Noir (avec G. de Sélys, EPO, 1998) et Les nouveaux maîtres de l'Ecole
(EPO/VO Editions, 2000). Il est aussi l'un des fondateurs de l'association
Appel pour une École Démocratique (Aped). Pour s'abonner à la liste de diffusion de
l'Aped : L'Ecole
asservie aux contraintes du marché " Désormais,
le souci premier du monde patronal n'est plus d'ordre quantitatif. Il ne
s'agit pas de dispenser davantage d'enseignement, mais de dispenser mieux. Il
ne s'agit plus d'avoir davantage de main-d'œuvre qualifiée, mais d'avoir une
main-d'œuvre mieux qualifiée et surtout plus adaptable. L'émergence de cette
Ecole-là, [...] les employeurs, industriels et financiers décident de s'en
charger eux-mêmes : en formulant leurs "recommandations", en
participant à l'élaboration des programmes, en ménageant des
"partenariats" avec les écoles, voire en s'occupant directement
d'organiser, à côté de l'enseignement public, leur propre enseignement privé.
La tentation est d'autant plus forte qu'il y a là un marché et des profits à
conquérir. [...] Cette mise en adéquation de l'enseignement avec les
nouvelles attentes des puissances industrielles et financières a deux
conséquences dramatiques : l'instrumentalisation de l'Ecole au service
de la compétition économique et l'aggravation des inégalités sociales dans
l'accès aux savoirs. L'Ecole s'était massifiée en permettant aux enfants du
peuple d'accéder - partiellement, timidement - à la richesse des savoirs
réservés jusque-là aux fils et aux filles de la bourgeoisie. Maintenant que
la massification a été menée à son terme, on somme l'enseignement de ramener
l'instruction du peuple dans des limites qu'elle n'aurait jamais dû franchir :
apprendre à produire, à consommer et à respecter les institutions en place.
[...] L'Ecole asservie aux contraintes du marché est une institution de
dressage social, non le creuset d'une citoyenneté démocratique. " (Nico
Hirtt, L'école prostituée, Labor/Espace de Libertés, 2001, pp. 90
à 92) Ce que
disent les milieux d'affaires de la privatisation de l'enseignement : " L'efficience
et la qualité de l'enseignement seraient incontestablement favorisées, si les
établissements n'avaient plus le caractère d'administrations (semi-)publiques
mais étaient considérés et gérés comme des entreprises "
("L'enseignement, un secteur en difficulté", Bulletin hebdomadaire
de la Kredietbank, n°10-11, 18 et 25 mars 1994) (cité in Nico Hirtt, L'école prostituée, Labor/Espace de
Libertés, 2001, p. 6) " Du
point de vue de l'entrepreneur, l'enseignement constitue l'un des marchés les
plus vastes et à la plus forte croissance [... Les] entrepreneurs considèrent
l'enseignement comme un vaste marché à conquérir " (Jones Glenn R.,
président du colloque mondial de la Global Alliance for Transnational
Education - Gate - sponsorisé notamment par IBM et Coca-Cola, "Address
given to Gate conference", Paris, 30 septembre 1998) (cité in Nico
Hirtt, L'école prostituée, Labor/Espace de Libertés, 2001, p. 7) Etats-Unis :
Pour le consultant américain Eduventures, les années 1990 " resteront
dans les mémoires pour avoir permis l'arrivée à maturation de l'enseignement
de marché. Les fondations de la vibrante industrie éducative du XXIe siècle
[...] ont commencé à fusionner pour atteindre leur masse critique "
(Adam Newman, "What is the Education-industry?, Eduventures, janvier
2000) (cité in Nico Hirtt, L'école prostituée, Labor/Espace de
Libertés, 2001, p. 49) " Au
Royaume-Uni, la société de placements Capital Strategies a lancé l'indice
boursier UK Education and training index dont elle ne manque pas de vanter
les performances exceptionnelles. Un investissement de 1.000 £, au moment du
lancement de cet indice en 1996, aurait valu 3.405 £ en juillet 2000. Une
croissance de 240% ! " (Nico Hirtt, L'école prostituée,
Labor/Espace de Libertés, 2001, pp. 50-51) " En
France, le groupe Educinvest (qui appartient à Vivendi, ex-Générale des eaux)
gère déjà 250 écoles privées et réalise un chiffre d'affaires annuel de plus
de 130 millions d'euros. " (Nico Hirtt, L'école prostituée,
Labor/Espace de Libertés, 2001, p. 52, se référant au journal Les Echos,
21 février 1995) Ce que
dit la Commission européenne de la privatisation de l'enseignement : Il faut mettre
en œuvre "l'autonomie" des écoles et le "rapprochement entre l'école
et l'entreprise" (Commission européenne, "Enseigner et apprendre. Vers
la société cognitive. Livre blanc sur l'éducation et la formation", Bruxelles,
29 novembre 1995) (cité in Nico Hirtt, L'école prostituée,
Labor/Espace de Libertés, 2001, p. 6) Il faut " introduire
en Europe une culture numérique soutenue par un esprit d'entreprise "
(Commission européenne, Communication concernant une initiative de la
Commission pour le Conseil européen extraordinaire de Lisbonne des 23 et 24
mars 2000) (cité in Nico Hirtt, L'école prostituée, Labor/Espace de
Libertés, 2001, p. 13) Ce que
disent les grandes institutions internationales sur l'éducation : " l'éducation
peut contribuer à éveiller un état d'esprit favorable au développement de
l'activité des entreprises " (OCDE, "Stimuler l'esprit d'entreprise",
rapport repris dans "Synthèses de l'OCDE", n°9, 1998) (cité in Nico
Hirtt, L'école prostituée, Labor/Espace de Libertés, 2001, p. 34) " les
modalités de financement de l'enseignement tertiaire devraient s'inspirer
plus nettement d'une conception [...] où le financement passe - et est
partiellement assuré - par l'étudiant, [...] soit par le biais de frais de
scolarité, de versements différés, de prêts couvrant les frais de scolarité
ou de subsistance, ou encore d'impôts prélevés sur les revenus des diplômés "
(OCDE, "Stimuler l'esprit d'entreprise", rapport repris dans "Synthèses
de l'OCDE", n°9, 1998) (cité in Nico Hirtt, L'école prostituée,
Labor/Espace de Libertés, 2001, p. 39) " Si
l'on diminue les dépenses de fonctionnement, il faut veiller à ne pas diminuer
la quantité de service, quitte à ce que la qualité baisse. On peut réduire,
par exemple, les crédits de fonctionnement aux écoles ou aux universités,
mais il serait dangereux de restreindre le nombre d'élèves ou d 'étudiants.
Les familles réagiront violemment à un refus d'inscription de leurs enfants,
mais non à une baisse graduelle de la qualité de l'enseignement et l'école
peut progressivement et ponctuellement obtenir une contribution des familles,
ou supprimer telle activité. Cela se fait au coup par coup, dans une école
mais non dans l'établissement voisin, de telle sorte que l'on évite un
mécontentement général de la population. " (Christian Morrisson,
"La faisabilité politique de l'ajustement", Centre de développement
de l'OCDE, Cahiers de politique économique n°13, OCDE, 1996) (cité in Nico
Hirtt, L'école prostituée, Labor/Espace de Libertés, 2001, p. 66) La Banque
mondiale réservera la priorité des ses aides aux pays " qui sont disposés
à adopter, pour l'enseignement supérieur, un cadre législatif et réglementaire
favorisant une structure [...] où le secteur privé interviendra davantage "
(Banque mondiale, "Priorités et Stratégies pour l'éducation", 1995)
(cité in Nico Hirtt, L'école prostituée, Labor/Espace de Libertés,
2001, p. 61) La Banque
mondiale a d'ailleurs créé le service Edinvest, un forum qui " fournit
des informations pour rendre possibles les investissements privés à grande
échelle " (Education Sector Strategy, World Bank, juillet 1999) (cité
in Nico Hirtt, L'école prostituée, Labor/Espace de Libertés, 2001, p. 62) L'éducation
comme outil de lutte contre les inégalités (malgré tout) " Comment
un enseignement qui sélectionne, qui endoctrine, qui forme une main d'œuvre
soumise et des citoyens obéissants pourrait-il en même temps avoir une
fonction émancipatrice ? Il y a là effectivement contradiction. [...] L'histoire
enseigne l'amour de la patrie ? Oui, mais elle permet aussi de connaître
ses propres racines sociales et culturelles, de découvrir les luttes passées
et de s'en inspirer [...]. Les cours d'économie [...] tendent à naturaliser
la domination du marché sur la production et la répartition des richesses ?
Assurément. Mais qu'on le veuille ou non, ils apportent aussi la connaissance
des inégalités sociales, on y prend la mesure des fortunes privées et des
richesses naturelles [...]. Les cours de langues modernes répondent aux
besoins des employeurs à l'heure de la mondialisation économique ? C'est
évident. Mais qui empêchera les travailleurs de s'en servir pour mondialiser
leurs luttes ? [...] Ainsi donc, les fonctions de l'enseignement sont
profondément contradictoires. On ne peut socialiser, endoctriner et former,
sans également instruire. [... L'enseignement est] l'enjeu de luttes
cruciales. Et ces luttes doivent se mener sur de multiples terrains :
celui des contenus enseignés, celui des structures du système éducatif, celui
des pratiques, celui des moyens enfin. " (Nico Hirtt, L'école
prostituée, Labor/Espace de Libertés, 2001, pp. 80-81) |