NO LOGO

LA TYRANNIE DES MARQUES

(extraits de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud – 24,24€,

traduit de l'anglais par Michel Saint-Germain)

 

 

 

 

 

En résumé…

" Aujourd'hui, le village est "planétaire", l'adolescent "mondial" est la société de consommation dominée par les marques. Les espaces publicitaires traditionnels qu'elles se sont de tout temps montré promptes à coloniser – panneaux d'affichage, télévision, cinéma, presse écrite – sont désormais devenus trop restreints pour des logos frappés d'expansionnisme galopant. En plantant leurs drapeaux sur des territoires jusqu'à présent vierges de toute publicité, en substituant au simple objet de consommation une image capable de le faire accéder à la dimension de mythe, les multinationales ne se sont pas contentées de bouleverser les mentalités et le monde du travail, elles ont modifié l'économie de nombreux pays.

Dans cette course au profit, beaucoup sont en effet passés maîtres dans l'art de bafouer les droits de l'homme : l'esclavage moderne existe dans les zones franches industrielles ou dans certains Etats du Tiers-Monde, véritables paradis fiscaux pour sociétés capitalistes. Pendant ce temps, en Occident, les usines ferment les unes après les autres et migrent sous des cieux plus complaisants, les mises à pied massives se succèdent à un rythme effréné, les contrats à temps partiel ou intérimaires remplacent les emplois permanents, les acquis sociaux sont laminés, voire disparaissent.

Mais le nombre augmente de ceux qui prônent l'urgence d'une mobilisation vigilante, et qui dénoncent les abus commis par les grandes sociétés. Venant de partout, ils se rencontrent, se regroupent et s'organisent sur l'Internet : ils veulent récupérer l'espace, la rue, la forêt dont on les a privés, ils réclament des emplois et des conditions de travail décents, un partage plus équitable des énormes bénéfices des multinationales, ils refusent d'acheter des produits pour lesquels d'autres, à des milliers de kilomètres de chez eux, paient le tribut de la sueur et parfois même du sang.

Ce nouveau militantisme, reflet de la pluralité sociale et ethnique de bon nombre de pays, a déjà gagné des batailles contre les logos mastodontes. Les événements de Seattle ou de Prague l'ont prouvé : il est encore temps de dire non à la tyrannie des marques. " (au dos du livre No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

L'auteure

" Naomi Klein est née en 1970 à Montréal. Elle débute sa carrière de journaliste au Toronto Star, où elle publie des articles sur le monde du travail et le marketing. Cinq ans plus tard, elle devient reporter indépendant et s'intéresse notamment au caractère prédateur de la publicité dans nos sociétés. Elle vit actuellement à Toronto, où elle est journaliste au Globe and Mail. " (au dos du livre No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

" Cherche toujours l'ombre derrière l'éclat "

" Au début de ma vie, mon regretté grand-père, Philip Klein, jadis animateur chez Walt Disney, m'a donné une leçon inestimable : cherche toujours l'ombre derrière l'éclat. " (p. 11 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Pas de panneaux de pub dans mon paysage !

" Personnellement, j'ai une passion pour les paysages, et je n'en ai jamais vu un seul amélioré par un panneau d'affichage. C'est lorsqu'il érige une affiche devant d'agréables perspectives que l'homme est à son plus vil. Quand je prendrai ma retraite de Madison Avenue, je lancerai un groupe secret d'autodéfense, formé de cagoulards parcourant le monde sur des motos silencieuses pour abattre des affiches après la tombée de la nuit. " (David Ogilvy, fondateur de l'agence de publicité Ogilvy & Mather, dans Confessions of an Advertising Man, 1963, cité p. 27 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Produire des images plutôt que des produits

" Pendant fort longtemps, la fabrication d'objets demeura, du moins en principe, au cœur de toutes les économies industrialisées. Mais, dès le milieu des années 1980, [...un] consensus émergea : les entreprises étaient surdimensionnées, trop grandes ; elles possédaient trop d'actifs, employaient trop de gens et se trouvaient alourdies de trop d'objets. [...]

Vers la même époque, un nouveau genre d'entreprises commença à ravir des parts de marché aux manufacturiers traditionnels, purement américains ; c'étaient les Nike et les Microsoft et, plus tard, les Tommy Hilfiger et les Intel. Ces pionniers avaient le front de prétendre que la production de marchandises ne représentait qu'une part secondaire de leurs activités et que, grâce à de récentes victoires dans la libéralisation du commerce et la réforme du droit du travail, ils pouvaient faire fabriquer leurs produits par des entrepreneurs, souvent à l'étranger. Ce que ces entreprises produisaient surtout, ce n'étaient pas des objets, selon eux, mais des images de leurs marques. Leur véritable travail n'était pas la fabrication, mais le marketing. Cette formule s'est évidemment avérée des plus rentables, et son succès a incité des entreprises à se faire concurrence dans une course à la légèreté : le vainqueur est celui qui possède le moins, qui utilise le moins grand nombre d'employés et qui produit les images les plus convaincantes, plutôt que des produits. " (p. 28 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

" "Des marques, pas des produits !" – du jour au lendemain, ce fut le cri de ralliement d'une renaissance du marketing menée par une nouvelle génération de sociétés qui se considéraient comme des "courtiers en signification" plutôt que comme des "producteurs de produits". [...]

Depuis lors, un groupe sélect de sociétés a tenté de se libérer du monde matériel des articles de base, de la fabrication et des produits, pour exister sur un autre plan. [...] Par conséquent, ces tâches subalternes pouvaient et devaient être confiées à des fournisseurs et à des sous-traitants dont le rôle se limitait à remplir la commande à temps et dans les limites budgétaires (idéalement au Tiers-Monde, où la main d'œuvre coûte trois fois rien, où les lois sont laxistes et les exemptions fiscales monnaie courante). Pendant ce temps, le siège social est libre de se concentrer sur l'essentiel – créer une mythologie commerciale suffisamment forte pour insuffler un sens à ces objets bruts [...].

Ainsi l'explique Phil Knight, le P.D.G. de Nike : "Pendant des années, nous nous sommes considérés comme une société orientée production, au sens où nous mettions toute notre énergie dans la conception et la fabrication du produit. Mais à présent, nous comprenons que notre fonction la plus importante est sa mise en marché. Nous disons maintenant que Nike est une société orientée marketing [...]." [...]

Avec cette manie de la marque apparut une nouvelle race de gens d'affaires, lesquels vous informaient avec fierté que la marque X n'était pas un produit mais un style de vie, une attitude, un ensemble de valeurs, un look, une idée. Et cela semble formidable – bien plus que de se faire expliquer platement que la marque X est [...] une chaîne de hamburgers [,] un jean [ou] une gamme [...] de chaussures de course. " (pp. 47 à 49 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud) 

 

 

Consacrer son capital à la promotion des marques

" [...] notre stratégie est de concentrer toute notre attention sur la gestion de marque, le marketing et la conception de produits, ce qui nous permettra de faire face à la demande et aux besoins de vêtements décontractés. Le fait de déléguer une part importante de production [...] à des entrepreneurs du monde entier conférera à notre entreprise une flexibilité accrue, et lui permettra de consacrer ses ressources et son capital à la promotion des marques. Cette étape est cruciale si nous voulons demeurer compétitifs. " John Ermatinger, président de la division Amériques de Lévi Strauss, justifiant la décision de la compagnie de fermer 22 usines et de congédier 12 000 employés nord-américains entre novembre 1997 et février 1998 (p. 239 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Différence entre "produit" et "marque"

" Peter Schweitzer, président du géant de la publicité J. Walter Thompson [explique] : "La différence entre produits et marques est fondamentale. Un produit, c'est ce qui se fabrique en usine ; une marque, c'est ce qu'achète le consommateur." ["People Buy Products Not Brands", par Peter Schweitzer (collection J. Walter Thompson White Papers, sans date)] " (pp. 239-240 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

La fabrication d'objets n'a plus de valeur

" Phil Knight [a déclaré] : "La fabrication d'objets n'a plus de valeur. La valeur est ajoutée par la recherche de pointe, l'innovation et le marketing." [Katz, Just Do It, p. 204] " (p. 241 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Et le logo devint visible...

" Jusqu'au début des années 1970, les logos des vêtements étaient généralement dissimulés, discrètement placés à l'intérieur du col. Dans la première moitié du siècle, de petits emblèmes de concepteurs apparurent à l'extérieur, mais cette tenue d'allure sportive restait plutôt confinée aux terrains de golf et aux terrains de tennis des riches. A la fin des années 1970, [...le] cavalier Polo de Ralph Lauren et l'alligator d'Izod Lacoste s'échappèrent du terrain de golf et se répandirent en tous sens dans les rues, déplaçant avec détermination le logo sur le devant de la chemise. Ces logos remplissaient la même fonction sociale que le fait de garder l'étiquette du prix sur le vêtement : tout le monde savait précisément quel supplément on était prêt à payer pour le style. Dès le milieu des années 1980, Lacoste et Ralph Lauren furent rejoints par Calvin Klein [et] Esprit [...] ; après avoir contribué à l'ostentation affectée, le logo devint graduellement un accessoire de mode. Surtout, le logo lui-même augmentait en taille, l'emblème de deux centimètres se dilatant jusqu'à devenir une enseigne pleine poitrine. " (p. 54 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Quand les marques se veulent culture

" Dès le milieu des années 1990, des compagnies comme Nike, Polo et Tommy Hilfiger étaient prêtes à porter le branding au stade suivant : ne plus se contenter d'apposer leurs marques sur leurs propres produits, mais également sur la culture – en sponsorisant des événements culturels [...].

[Puis, il] ne s'agit plus de sponsoriser la culture mais d'être la culture. Et pourquoi pas ? Si les marques ne sont pas des produits mais des idées, des attitudes, des valeurs et des expériences, pourquoi ne pourraient-elles pas également constituer une culture ? [...]

Ce projet de transformer la culture en collection d'"extensions de marques [...]" [...] n'aurait pas été possible sans les politiques de déréglementation et de privatisation des trois dernières décennies. [...] A mesure que diminuaient les dépenses gouvernementales, les écoles, musées et diffuseurs cherchaient désespérément à combler leurs déficits budgétaires en formant des partenariats avec l'entreprise privée. [...] Dans ce contexte, le sponsoring [...], devint très rapidement une industrie à la croissance explosive [...]. " (pp. 55 à 57 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

CBS News, porte-drapeau de Nike

" [...] durant les Jeux olympiques de 1998 à Nagano, au Japon, [...] Roberta Baskin, journaliste d'investigation au réseau américain CBS, vit ses collègues de la section sport livrer leurs reportages sur les jeux dans des vestes ornées de voyants logos Nike. Sponsor officiel de la couverture olympique du réseau, Nike fournissait aux reporters sportifs et autres du matériel décoré du swoosh [...]. Roberta Baskin fut "gênée et consternée" que des reporters de CBS donnent l'impression d'être des porte-parole des produits Nike, non seulement parce que cela gommait encore davantage la frontière entre l'éditorial et la publicité, mais parce que deux ans plus tôt, elle avait révélé au journal télévisé des cas d'abus physiques à l'endroit des travailleurs d'une usine de chaussures Nike au Vietnam. Elle accusa la station de lui avoir refusé la permission de poursuivre l'enquête à cause d'une entente de sponsoring avec Nike, et d'avoir annulé la reprise prévue de l'émission. Le président de CBS News, Andrew Heyward, nia vigoureusement avoir cédé aux pressions du sponsor [...]. " (pp. 67-68 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Les pop stars roulent pour Coca Cola ou Pepsi

" George Michael, Madonna, Robert Palmer, David Bowie, Tina Turner, Lionel Richie et Ray Charles ont tous enregistré pour Coke ou Pepsi. " (p. 74 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Nike change Michael Jordan en rêve

" Comme le dit Michael Jordan : "Ce qu'ont fait Phil [Knight] et Nike, c'est de me changer en rêve." [New York Times, 20 décembre 1997, p. A1] " (p. 80 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Les sportifs payent pour faire de la pub ?

" Selon [une étude menée en 1995 par le professeur Roy F. Fox, de l'Université du Missouri], la plupart des élèves de collèges du Missouri qui ont visionné en classe le mélange d'informations et d'annonces de Channel One croyaient que les stars du sport payaient pour figurer dans leurs publicités. " (p. 89 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Les marques, c'est cool !

" Comme le disait la détaillante Elise Decoteau à propos de sa clientèle adolescente : "Ils courent en troupeaux. Si vous vendez quelque chose à l'un deux, vous le vendez à tous les étudiants de leur classe et de leur école."

Il y avait un hic, un seul. [...Il] ne suffisait pas aux compagnies de faire le marketing de leurs produits auprès d'un groupe démographique plus jeune ; il leur fallait façonner des identités de marque qui entreraient en résonance avec cette nouvelle culture. Pour métamorphoser leurs ternes produits en transcendantes machines à sens [...], il leur faudrait devenir elles-mêmes l'image du cool des années 1990 : sa musique, ses styles et sa politique. [... Le] secteur commercial connut une frénésie d'énergie créatrice. Le cool, l'alternatif, le jeune, le in [...] constituait une identité parfaite pour des fabriquants de produits espérant devenir des marques transcendantes [...]. Les annonceurs, les gestionnaires d'images, les producteurs de musique, de films et de télévision retournèrent à l'école [...] afin d'isoler et de reproduire dans des publicités pour la télévision l'"attitude" précise que les ados et les jeunes adultes étaient portés à consommer [...].

Le Wall Street Journal publie régulièrement des articles sérieux sur la façon dont la tendance aux jeans larges ou aux sacs à dos miniatures affectent le marché boursier. [... Le] but tel qu'énoncé par le directeur du marketing Phil Spur, est le suivant : "Ils (les jeunes cool) doivent regarder vos jeans, regarder votre image de marque et dire "c'est cool..."

[Un concepteur de Nike, Aaron Cooper, parlant d'une de ses visites à Harlem :] "On est allés au terrain de jeu et on a largué les chaussures. C'est incroyable. Les jeunes perdent la boule. C'est là qu'on réalise l'importance de Nike. Les jeunes vous disent que Nike occupe la première place dans leur vie – la deuxième va à leur copine." " (pp. 99 à 107 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Réaction d'un vendeur de chaussures

" Tout cela me fatigue et m'épuise. Je suis toujours obligé d'affronter cette vérité que je fais de l'argent avec les pauvres. Beaucoup d'entre eux reçoivent l'assistance sociale. Parfois, une mère arrive avec un jeune sale et mal habillé. Mais le jeune veut une paire de chaussures à 120 dollars, et cette mère stupide les lui achète. Je ressens le besoin intérieur de ce jeune – son désir de posséder ces choses et les sentiments qui les accompagnent –, mais ça me fait mal que ça se passe ainsi. " (Steven Roth, propriétaire d'un magasin de chaussures dans le New Jersey, cité p. 435 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Des marques dans l'Ecole : le cas Channel One

" Bien sûr, les sociétés qui se présentent [...] à la porte de l'école n'ont rien contre l'éducation. Les étudiants doivent à tout prix s'instruire, disent-elles, mais pourquoi pas ne pas lire à propos de notre compagnie, écrire sur elle, travailler sur leurs propres préférences en matière de marques et créer un dessin pour notre prochaine campagne publicitaire ? D'après ces sociétés, l'enseignement et l'élaboration de la notoriété d'une marque peuvent constituer deux aspects du même projet. C'est là qu'interviennent Channel One [...], et son équivalent canadien, le Youth News Network [...].

Au début de la décennie, ces diffuseurs scolaires autoproclamés approchèrent les comités de gestion des écoles nord-américaines avec une proposition. Ils leur demandèrent d'ouvrir leurs salles de classe à deux minutes de publicité télévisée par jour, insérée dans douze minutes d'émissions d'actualité pour adolescents. Nombre d'écoles consentirent, et les émissions furent bientôt diffusées. Toutefois, il n'était pas question de faire taire le jovial baratin publicitaire. Non seulement le visionnage de la programmation est devenu obligatoire pour les étudiants, mais les enseignants sont [dans l'impossibilité de] régler le volume de la diffusion, surtout celui des publicités. [...]

La station [Channel One] se targue maintenant d'être présente dans 12 000 écoles, et d'atteindre un auditoire estimé à huit millions d'étudiants [...]. " (pp. 123-124 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

" Ainsi que l'ont souligné plusieurs critiques, Channel One ne se contente pas de colporter les chaussures de sport et les friandises de ses annonceurs auprès des étudiants : elle vend également l'idée que sa propre programmation est un inappréciable outil d'éducation, propice à la modernisation du matériel démodé que constituent les livres et les enseignants. [...] Ainsi, pour faire mousser Anastasia dans les écoles, la Fox ne s'est pas contentée de publicités dans les menus du déjeuner ; elle a également fourni aux enseignants un manuel pour l'étude d'Anastasia. Jeffrey Godsick, premier vice-président, publicité et promotion, chez Fox, a expliqué que c'était le réseau qui rendait service aux écoles, et non l'inverse. "Les enseignants des écoles publiques cherchent désespérément des contenus accrocheurs pour les jeunes." [Wall Street Journal, 24 novembre 1997, p. B1] " (p. 127 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Des marques dans les cantines scolaires

" Les chaînes de fast-food [...] rivalisent avec les cafétérias dans 13 pour cent des écoles américaines. Au terme d'un accord inimaginable dans les années 80, des sociétés telles que McDonald's et Burger King s'installent maintenant dans certaines cantines [...]. Subway approvisionne 767 écoles en sandwiches ; Pizza Hut possède un marché d'environ 4 000 écoles ; et [...] 20 000 écoles sont liées à la gamme "burritos surgelés" de Taco Bell. [...]

Puisque [...] leur nourriture est habituellement deux fois plus coûteuse que celle des cafétérias, les jeunes issus de familles pauvres doivent se contenter de viande non identifiée, tandis que leurs confrères plus [aisés] se nourrissent de Pizza Hut et de Big Mac. Et ils ne peuvent même pas espérer voir le jour où la cafétéria servira de la pizza ou des [cheesburgers], puisque nombre d'écoles ont signé avec les chaînes des accords leur interdisant de servir des "versions génériques" des produits concernés [...]. " (pp. 124-125 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Travailler pour des marques à l'école

" Ce sont [...] les responsables du Nike World Campus qui ont conçu l'hybride le plus avancé de la publicité en classe, un exercice de relations publiques déguisé en outil d'enseignement : le kit d'enseignement "Air-to-Earth". Pendant l'année scolaire 1997-1998, les élèves de plus de 800 classes élémentaires américaines ont découvert que le cours de la journée consistait à confectionner une chaussure de sport Nike, jusqu'au swoosh et à l'autographe d'une star de la National Education Association. Qualifié d'"usage méprisable du temps scolaire" par la National Education Association et de "déformation de l'éducation" par la Consumers Union, cet exercice serait censé éveillé l'attention sur les aspects écologiques du processus de production. "

" Channel One pousse encore plus loin en recrutant des enseignants "partenaires" afin de mettre en place des cours où l'on demande aux étudiants de créer une nouvelle campagne publicitaire pour Snapple ou de redessiner les distributeurs automatiques de Pepsi. A New York et à Los Angeles, des étudiants du secondaire ont créé des spots animés de trente secondes pour les bonbons aux fruits Starbust, et des étudiants de Colorado Springs ont conçu des publicités Burger King qui ont été affichées dans leurs cars scolaires. [... L']ensemble étant financé par le système scolaire et les impôts des contribuables. " (pp. 128-129 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Un concours Coca Cola à l'Ecole

" [En 1998,] Coca-Cola lança un concours demandant à plusieurs écoles de fournir une stratégie de distribution de coupons-rabais Coke à des étudiants. L'école qui aurait conçu la meilleure stratégie promotionnelle remporterait 500 dollars. Greenbriar High School, à Evans, en Géorgie, a pris le concours très au sérieux, organisant à la fin mars une Journée officielle Coke lors de laquelle tous les élèves arrivaient à l'école vêtus de t-shirts Coca-Cola, posaient pour une photographie de groupe formant les lettres C, o, k, e, assistaient à des conférences données par des cadres de Coca-Cola et apprenaient tout, en classe, sur la boisson noire et pétillante. Ce fut un petit coin de paradis de marketing jusqu'à ce que vienne aux oreilles de la directrice que, dans un horrible geste de défi, un certain Mike Cameron, 19 ans, était arrivé à l'école vêtu d'un t-shirt au logo de Pepsi. Il fut rapidement suspendu pour cette infraction. "Je sais que ça semble affreux – un enfant suspendu pour avoir porté un t-shirt Pepsi à la journée Coke, a dit la directrice, Gloria Hamilton. C'aurait été vraiment acceptable... si ça s'était limité à l'intérieur de l'école, mais nous recevions le président régional [de Coca-Cola], et des gens étaient venus en avion d'Atlanta pour nous faire l'honneur de prononcer des allocutions. Ces étudiants savaient que nous avions des invités." [Associated Press, 25 mars 1998] " (p. 130 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Reebok à l'Ecole

" En mai 1996, des étudiants et des enseignants de l'Université du Wisconsin à Madison ont découvert le contenu d'une entente de sponsoring que leur administration était à la veille de signer avec Reebok – et ils ont moyennement apprécié. L'entente renfermait une clause de "non-dénigrement" qui interdisait à des membres de l'université de critiquer la société d'équipement sportif. La clause s'énonçait ainsi : "Au cours du trimestre et pour une période subséquente raisonnable, l'Université n'émettra aucune déclaration officielle dénigrant Reebok. En outre, l'Université prendra rapidement toutes les mesures nécessaires concernant toute remarque faite par un employé, un agent ou un représentant de l'Université, y compris les entraîneurs, dénigrant Reebok, ses produits, son agence de publicité ou ses représentants." Reebok dut renoncer à cette clause après que des étudiants et des membres du personnel enseignant eurent lancé une campagne de sensibilisation sur le fait que Reebok ne respectait pas les droits des travailleurs du Sud-Est asiatique. " (pp. 131-132 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Coca-Cola à l'Ecole

" [A] l'Université Kent State – l'un des campus américains sur lesquels Coca-Cola a des droits de distribution exclusifs – des membres d'Amnesty International ont proposé un boycott du soda parce que Coca-Cola faisait des affaires avec la dictature nigériane. En avril 1998, les activistes ont fait une demande de fonds en bonne et due forme à leur conseil étudiant afin d'inviter un des membres du Free Nigeria Movement à une conférence sur les droits humains. "Est-ce qu'il va dire des choses négatives sur Coca-Cola  ? Parce que Coca-Cola fait un tas de choses positives sur notre campus, comme aider les organisations et le sport", a demandé un membre du conseil. Les représentants d'Amnesty International répondirent qu'en effet, l'orateur ferait des commentaires négatifs sur les activités de la compagnie au Nigeria, et le financement fut refusé. " (pp. 132-133 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Une marque de tabac à l'Ecole

" Certaines universités sont même allées jusqu'à faire appel à la police à l'encontre de leur population étudiante pour protéger un contrat particulièrement lucratif. A l'été 1996, l'Université York, de Toronto, accueillit comme chaque année son open du Maurier. Ce tournoi de tennis télévisé est peut-être, de toute l'année, l'événement de marketing doté de la visibilité maximale pour le fabricant de cigarettes. Dans un geste qui s'attira les critiques de l'Association canadienne des libertés civiles, on empêcha les activistes antitabac – dont nombre d'étudiants de York – de distribuer, au cours de l'événement, des dépliants critiques sur le campus ou dans ses alentours. Lorsqu'ils défièrent les ordres, l'université appela la police, qui saisit les documents anti-tabac des protestataires, leur donna des contraventions et menaça de les arrêter. En dépit de la controverse publique, l'université ne modifia aucunement sa politique. " (p. 133 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Partenariat universités/entreprises (1/3)

" [Aujourd'hui], en Amérique du Nord, des partenariats de recherche entre universités et entreprises servent tantôt à concevoir de nouveaux patins Nike, tantôt à développer des techniques plus efficaces d'extraction du pétrole pour Shell, quand ce n'est pas à évaluer la stabilité du marché asiatique pour Disney, à tester la demande en Internet haut débit pour Bell ou à mesurer les mérites relatifs d'un médicament breveté comparé à sa contrepartie générique, pour ne donner que quelques exemples.

Le Docteur Betty Dong, chercheuse en médecine à l'Université de Californie à San Francisco (UCSF), a eu le malheur d'accepter ce dernier mandat – tester un médicament breveté avec des fonds provenant du fabricant. Le Docteur Dong était directrice dune étude sponsorisée par la compagnie pharmaceutique britannique Boots (qui s'appelle maintenant Knoll) et de l'UCSF. Le sort de ce partenariat jette une lumière éclatante sur la façon dont le mandat des universités en tant que lieux de recherche d'intérêt public est souvent en contradiction flagrante avec les intérêts des missions de recherche des marques.

L'étude du Docteur Dong avait pour objet de comparer l'efficacité du médicament Boots pour la thyroïde, le Synthroid, avec celle d'un concurrent générique. La compagnie espérait que la recherche démontrerait que son médicament, beaucoup plus coûteux, était meilleur, ou du moins substantiellement différent du médicament générique – une prétention qui, si elle était légitimée par une étude provenant d'une université respectée, augmenterait sensiblement les ventes de Synthroid. Mais le Docteur Dong découvrit plutôt le contraire. Les deux drogues étaient bio-équivalentes, un constat qui représentait une économie potentielle de 365 millions de dollars par année pour les huit millions d'Américains qui prenaient le médicament breveté, et une perte potentielle, pour Boots, de 600 millions (les revenus de vente de Synthroid). [... Les] découvertes devaient être publiées le 15 janvier 1995 dans le Journal of the American Medical Association. Mais à la dernière minute, Boots réussit à empêcher la publication de l'article, invoquant une clause du contrat de partenariat qui donnait à la compagnie un droit de veto sur la publication des résultats. L'université, craignant d'onéreuses poursuites, se rangea du côté du fabricant, et l'article fut supprimé. Quand toute l'affaire fut relatée dans le Wall Street Journal, Boots recula et l'article fut finalement publié en avril 1997, avec deux ans de retard. " (pp. 134-135 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Partenariat universités/entreprises (2/3)

" En 1998, une affaire semblable ébranla l'Université de Toronto et l'Hôpital des Enfants malades, qui y est affilié – mais cette fois, le chercheur découvrit que le médicament soumis à l'étude pouvait véritablement nuire aux patients. Le Dr Nancy Olivieri, scientifique de réputation mondiale et spécialiste d'une maladie du sang appelée thalassémie, avait conclu un contrat de recherche avec le géant pharmaceutique Apotex. La compagnie voulait que le Dr Olivieri teste l'efficacité du médicament appelé défériprone sur ses jeunes patients souffrant de thalassémie majeure. Lorsque le Docteur Olivieri obtint des preuves que, dans certains cas, le médicament pouvait avoir des effets secondaires mortels, elle voulut en avertir les malades et alerter d'autres médecins de sa spécialité. Apotex mit fin à l'étude et menaça de poursuivre le Dr Olivieri si elle publiait ses découvertes, en arguant d'une clause mineure du contrat de recherche qui lui donnait le droit de détruire les résultats un an après la fin des expériences. Olivieri fit néanmoins paraître une communication dans The New England Journal of Medicine et là encore, l'administration de son université et celle de son hôpital renoncèrent à défendre l'inviolabilité de la recherche universitaire menée dans l'intérêt du public. Ajoutant l'insulte à l'opprobre, en janvier 1999, elles déchurent le Dr Olivieri de son poste de recherche supérieur et la renvoyèrent à l'hôpital. (Après une longue bataille publique, le médecin finit par récupérer son poste.) " (p. 135 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Partenariat universités/entreprises (3/3)

" La plus effrayante de ces affaires est peut-être celle qui implique un professeur associé à l'Université Brown, dans le Rhode Island, qui a travaillé en tant que médecin spécialisé en santé au travail à l'Hôpital Memorial du Rhode Island, affilié à l'université et situé à Pawtucket. Une usine de textile locale avait commandé au Dr David Kern une enquête sur deux cas de maladie pulmonaire qu'il avait traités à l'hôpital. Il en trouve six autres dans cette usine de 150 personnes, découverte étonnante puisque l'incidence de pareille maladie dans la population générale est de un cas sur 40 000 habitants. Comme le Dr Dong et le Dr Olivieri, le Dr Kern était sur le point de présenter un article sur ses découvertes lorsque la compagnie de textile le menaça de poursuite, citant une clause dans l'accord qui empêchait la publication de "secrets commerciaux". Une fois de plus, l'université et l'administration de l'hôpital se rangèrent nettement du côté de la compagnie, interdisant au Dr Kern de publier ses résultats et fermant le laboratoire où il était seul à mener son étude. " (p. 136 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Pourquoi résister à la pub à l'Ecole ? Il y en a déjà tellement partout...

" Parents et éducateurs ne pouvaient rien gagner par la résistance ; aujourd'hui, les enfants sont tellement bombardés par les marques qu'il semblait moins important de protéger les espaces éducatifs de la commercialisation que de trouver immédiatement de nouvelles sources de financement. [...] Comme le dit Frank Vigil, président des systèmes informatiques ZapMe ! : "La jeunesse américaine est exposée à la publicité dans bien des aspects de sa vie. Nous croyons que les étudiants ont suffisamment de jugeote pour discerner le contenu éducatif du matériel publicitaire." Ainsi, il devint possible, pour bien des parents et des enseignants, de justifier leur échec à protéger un espace jusqu'alors public en arguant du fait que les publicités que les étudiants ne voient pas en classe ou sur le campus leur apparaîtraient sûrement dans le métro, sur le Net ou à la télé lorsqu'ils retourneraient chez eux. " (p. 138 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Marketing multinational, Marketing mondial et Marketing multi-ethnique

" Grâce au progrès du libre-échange et autres formes de déréglementation accélérée, le marché mondial devenait enfin une réalité, mais de nouvelles questions urgentes se posaient : Quelle était la meilleure façon de vendre des produits identiques à travers des frontières multiples ?

Jusqu'à ces dernières années, pour certaines grandes entreprises, la réponse était simple : obligez le monde à parler votre langage et à absorber votre culture. En 1983, [...] Theodore Levitt, professeur d'études commerciales à Harvard, [...] établissait une force distinction entre les sociétés multinationales, qui sont fragiles et qui subissent des transformations au gré du pays dans lequel elles opèrent, et les sociétés mondiales, arrogantes, qui restent, par définition, toujours les mêmes, peu importe où elles sévissent. [...]

Les sociétés "mondiales" de Levitt étaient, bien entendu, des sociétés américaines, et l'image "homogénéisée" qu'elles promouvaient reflétait l'Amérique : de jeunes blonds aux yeux bleus mangeant des céréales Kellogg à la télé japonaise ; [...] Coca-Cola et McDonald's vendant au monde entier le goût étasunien. [...]

Ces temps-ci, le fin du fin du marketing mondial n'est pas de vendre l'Amérique au monde, mais de fournir à chacun, dans le monde entier, une sorte de mélange d'épices. Au tournant du XXIe siècle, le boniment de vente, c'est moins le Marlboro Man que Ricky Martin : un mélange bilingue de Nord et de Sud, de latino, de rythm & blues, tout cela enrobé dans les paroles de chansons d'une fête mondiale. Cette approche "galerie des restos exotiques" [...] permet à des sociétés de vendre un même produit dans plusieurs pays, sans déclencher la vieille clameur de "Coca-Colonisation". " (pp. 153 et 155 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

L'ado mondial

" [Le] grand espoir mondial, ce sont les jeunes des pays développés et semi-développés. Plus que quiconque, ces adolescents de classe moyenne, bardés de logos, résolus à se couler dans le moule fabriqué par les médias, sont devenus les puissants symboles de la mondialisation.

Plusieurs raisons l'expliquent. D'abord, [... le] monde fourmille d'adolescents, surtout dans les pays du Sud [...]. Les deux tiers de la population asiatique ont moins de trente ans [...] et ces ados consomment une part disproportionnée des revenus de leurs familles. [...] Selon [...] une firme américaine ayant étudié la consommation chez les ados chinois, alors que maman, papa et les [...] grands-parents peuvent se passer d'électricité, leur fils unique (grâce à la politique nationale de l'enfant unique) se délecte fréquemment de ce qu'on a coutume d'appeler le "syndrome du petit empereur", ou de ce qu'elle nomme le phénomène "4-2-1" : quatre aînés et deux parents économisent des bouts de chandelles pour que l'enfant unique devienne un clone de MTV. [...]

Pour Elissa Moses, première vice-présidente de l'agence [de publicité new-yorkaise DMB&B qui a sondé 27 600 adolescents dans 45 pays], l'arrivée du groupe démographique de l'ado mondial représente "l'une des plus grandes possibilités de marketing de tous les temps". " (pp. 156-157 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Habiter la marque

" Les magasins ne sont que le commencement – la première phase de l'évolution menant du shopping expérimental à la pleine expérience de la marque. Dans un supermagasin, écrit [Michael J. Wolf, consultant en publicité], "l'éclairage, le décor, le casting d'employés provoquent en vous le sentiment diffus d'une pièce dans laquelle vous, le consommateur, tenez un rôle principal". Mais sur le plan des événements, cette pièce est plutôt courte : une heure ou deux, tout au plus. Voilà pourquoi la phase suivante [...] a été la création de vacances associées à une marque : [...] Disney a lancé le paquebot de croisière Disney Magic [...]. Nike élabore son propre paquebot de croisière [...] et Roots Canada, peu après avoir présenté une gamme de linge de maison et ouvert un magasin vedette à Manhattan, a lancé Roots Lodge, hôtel de marque en Colombie-Britannique. [...]

En avril 1999, le Roots Lodge n'était pas encore ouvert, mais la construction était suffisamment avancée pour rendre le concept parfaitement clair : une colonie de vacances pour adultes, haut de gamme, complètement associée à la marque. [...]

"C'est comme habiter un panneau d'affichage", fait observer sans exagérer un visiteur de notre tournée officielle. Croisement de show-room et de living-room véritable, le lieu de villégiature présente un logo Roots dans chaque cabane, sur les oreillers, les serviettes, les couverts, la vaisselle et les verres. Les fauteuils, sofas, tapis, stores et rideaux de douche sont tous de Roots. Sur la table basse Roots, en bois, un sous-main en cuir brun Roots accueille délicatement un livre hagiographique sur l'histoire de Roots – tout cela s'achète au magasin Roots d'en face. [...]

Le problème avec les destinations de vacances associées à une marque, c'est qu'elles ne fournissent que des occasions temporaires de convergence de marque, une oasis dont les familles, à la fin du voyage, sont abruptement arrachées pour être larguées à nouveau dans leur vie ancienne [...]. Voici donc Celebration, en Floride : la toute première ville Disney. Méticuleusement planifié, le lotissement arrive tout équipé : clôtures de piquets, association des propriétaires nommée par Disney, et château d'eau bidon. Pour les familles qui y résident toute l'année, Disney a atteint le but ultime du branding du style de vie : que la marque devienne la vie même.

Sauf que la vie offerte n'est peut-être pas celle à laquelle nous nous attendions de la part de Mickey. [...] Lorsque Michael Eisner, P. D.G. de Disney, décida de donner suite au vieux rêve de Walt en édifiant une ville associée à une marque, il se détourna du monde de fantaisie [...]. Bien que dotée de toute la technologie et du confort modernes, Celebration est moins futuriste que rétro : c'est une recréation de l'Amérique vivable qui existait avant les centres commerciaux, l'étalement des grandes surfaces, les autoroutes, les parcs d'attraction et le mercantilisme de masse. Bizarrement, Celebration n'est même pas un véhicule de vente de produits Mickey, la ville est presque dépourvue de Disney – et c'est sans doute la seule qui reste en Amérique. [...]

[Les] résidents qui parcourent les rues tranquilles de Celebration, bordées d'arbres et dépourvues de panneaux-réclame, ne sont sujets à aucune des stimulations ou des dévastations de la vie contemporaine. Aucun Levi Strauss n'a acheté toutes les devantures de la rue principale. [... Ce] qu'il y a de plus frappant à Celebration, [...] c'est la quantité d'espace public qu'elle offre – parcs, édifices communautaires et places publiques. En quelque sorte, l'innovation de Disney dans le branding est une célébration de l'absence de branding [...].

[Donc, si] l'on oublie un instant Le Meilleur des mondes qu'évoque inévitablement pareille vision, ces univers de marques ont quelque chose de séduisant. [...]

Nous vivons à une époque où les atteintes relatives à la construction d'espaces publics et de monuments dans la vie réelle grâce à des budgets collectifs – des écoles, par exemple, des bibliothèques, des parcs – se voient constamment réduites, voire complètement refusées. Dès lors, ces mondes privés deviennent captivants, du point de vue esthétique et créatif, et cela, d'une façon déroutante [...]. Pour la première fois depuis des décennies, des groupes humains élaborent leurs propres communautés idéales [...]. Le pouvoir émotionnel de ces enclaves réside dans leur capacité de captiver un désir nostalgique avant d'en augmenter l'intensité : salle de gymnase scolaire avec un équipement du niveau de la NBA ; colonie de vacances garnie de hot tubs et proposant un menu gastronomique ; librairie à l'ancienne avec meubles griffés et café au lait ; villes dépourvues d'erreurs architecturales et d'activités criminelles ; musée au budget hollywoodien. Oui, ces créations revêtent peut-être quelque caractère fantastique qui donne vaguement froid dans le dos ; il importe cependant de ne pas les écarter comme de simples manifestations de mercantilisme crasse visant les masses irréfléchies : pour le meilleur ou pour le pire, ce sont bien des utopies publiques privatisées. " (pp. 193 à 199 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

=> Cf. aussi l'article "Mickey house...", pp. 50-51 du Nouvel Observateur n° 1970 du 8 au 14 août 2002.

 

 

Quand les marques censurent leurs athlètes

" Quelques jours avant de remporter la course olympique qui allait faire de lui l'athlète le plus rapide de notre époque, [le sprinteur canadien Donovan] Bailey [a] déclaré à Sports Illustrated que la société canadienne [la branche canadienne d'Adidas ?] "est aussi ouvertement raciste que les Etats-Unis". Adidas [...] s'empressa de faire taire Bailey. Doug Hayes, vice-président d'Adidas, déclara au Globe and Mail que ces commentaires "n'ont rien à voir avec Donovan l'athlète ni le Donovan que nous connaissons" [...].

Un cas semblable de censure impliqua la vedette britannique du football Robbie Fowler, alors âgé de 21 ans. En mars 1997, après avoir marqué un deuxième point [...], Fowler se tourna vers la foule et enleva son maillot officiel pour exhiber un t-shirt politique rouge qui disait : "500 Liverpool dockers sacked since 1995" (500 dockers de Liverpool congédiés depuis 1995). Les débardeurs étaient en grève depuis des années, luttant contre des centaines de mises à pied [...]. Le Liverpool Football Club, qui engrange les revenus selon les messages de marque qui apparaissent sur les maillots officiels des joueurs , se précipita pour couper court à tout autre geste de ce genre. "Nous signalerons à tous nos joueurs que les commentaires sur des questions extérieures au football sont inacceptables sur le terrain de jeu", déclara le club [...]. Et pour s'assurer que le seul message figurant sur les t-shirts des athlètes serait d'Umbro ou d'Adidas, l'UIEFA, organisme qui gouverne le football européen, donna suite à l'incident en imposant à Fowler une amende de 2 000 francs suisses.

Cette histoire connut un autre rebondissement. Le t-shirt de Fowler ne relevait pas de la simple déclaration politique, il correspondait à un sabotage de pub : subversion affichée d'une marque omniprésente, les lettres "c" et "k" du mot "dockers" avaient été agrandies et redessinées de façon à ressembler au logo de Calvin Klein : docKers. Quand des photographies du t-shirt furent étalées dans tous les journaux britanniques, le concepteur menaça d'attaquer en justice pour infraction au droit des marques.

Lorsqu'on les accumule, de tels exemples donnent de l'espace commercial l'image d'un Etat fasciste, avec son salut au logo et sa répression de toute critique, parce que nos journaux, stations de télévision, serveurs Internet, rues et espaces de vente au détail sont contrôlés par les intérêts des multinationales. " (pp. 231-232 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

 

Baisse de la part des salaires dans le Tiers-Monde

" Des sociétés qui, traditionnellement, se contentaient d'une marge de 100% entre le prix de revient et le prix de détail, ont cherché dans le monde entier des usines capables de fabriquer leurs produits à si bon compte que la marge se rapprocherait davantage des 400%. Et, comme le fait remarquer un rapport des Nations unies de 1997, même dans les pays où les salaires étaient déjà faibles, les frais de main-d'œuvre constituaient une part de moins en moins grande des budgets des grandes entreprises [Naomi Klein ne le dit pas, mais il faut sans doute comprendre que la raison en est l'automatisation des tâches et non la baisse des salaires, ndi]. "Dans quatre pays du Tiers-Monde sur cinq, dans le secteur manufacturier, la part actuelle des salaires est considérablement inférieure à ce qu'elle était dans les années 1970 et au début des années 1980." ["Trade and Development Report, 1997", Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement économique] " (p. 241 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Les multinationales ne sont pas responsables des conditions de travail dans les usines de leurs sous-traitants

" [...] De nombreuses sociétés se délestent de toute la production. Au lieu de fabriquer les produits dans leurs propres usines, elles "se les procurent", de la même manière que les entreprises des industries des ressources naturelles se procurent l'uranium, le cuivre ou le bois. Elles ferment des usines existantes, et sous-traitent la fabrication, de préférence dans d'autres pays. Et, à mesure que les anciens emplois s'envolent vers l'étranger, autre chose s'envole avec eux : l'obsolète idée qu'un fabricant est responsable de sa main d'œuvre. Le porte-parole de Disney, Ken Green, [...] exprima publiquement sa frustration de voir sa société réprimandée pour les conditions de catastrophiques en vigueur dans une usine haïtienne où l'on produisait des vêtements Disney. "Nous n'employons personne en Haïti", dit-il, faisant référence au fait que l'usine est la propriété d'un entrepreneur. " (pp. 241-242 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Des entreprises sans usine

" La société Nike [...] qui n'a la propriété d'aucune de ses usines, est devenue le prototype de la marque sans produit. [...]

En 1993, Adidas [...] s'empressa de fermer les usines allemandes [...] et sous-traita sa production en Asie [...]. "Nous avons tout fermé, déclara fièrement Peter Csanadi, porte-parole d'Adidas. Nous n'avons gardé qu'une petite usine, qui est notre centre de technologie mondial et qui compte pour environ 1 pour cent de la production totale." [...]

En novembre 1997, Levi Strauss annonça une restructuration [...]. De 1996 à 1997, les revenus de la société avaient diminué de 7,1 milliards de dollars. Mais cette baisse de 4 pour cent ne suffit pas à expliquer la décision de la société de fermer 11 usines. Les fermetures entraînèrent la mise à pied de 5 395 travailleurs, le tiers de sa main d'oeuvre nord-américaine déjà restructurée précédemment. Au cours du processus, la société ferma trois de ses quatre usines d'El Paso, au Texas, une ville où elle constituait le plus grand employeur du secteur privé. L'année suivante, encore insatisfaite des résultats, la compagnie annonça une autre série de fermetures en Europe et en Amérique du Nord. Onze autres de ses usines nord-américaines allaient être fermées : le nombre de travailleurs mis à pied atteignit à 16 310 en seulement deux ans.

John Ermatinger, président de la division des Amériques de Levi's, donna une explication familière : "Pour l'Amérique du Nord, notre plan stratégique est de concentrer toute notre attention sur la gestion de marque, le marketing et la conception de produits, ce qui nous permettra de faire face à la demande et aux besoins de vêtements [...]." [Business Wire, 22 février 1999] " (pp. 242 à 245 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

La disparition des logos de la façade des usines

" […] alors qu'à une époque révolue, des sociétés productrices d'objets de consommation arboraient fièrement leurs logos sur les façades de leurs usines, la plupart des multinationales prétendent aujourd'hui que l'emplacement de leurs installations de production relève du "secret commercial" qu'il faut garder à tout prix. Lorsque des associations de militants des droits de l'homme lui demandèrent, en avril 1999, de révéler le nom et l'adresse des usines de ses entrepreneurs, Peggy Carter, vice-présidente des vêtements Champion, répondit : "Nous n'avons aucun intérêt à ce que nos concurrents apprennent où nous sommes situés et tirent avantage de ce que nous avons passé des années à bâtir." [Boston Globe, 18 avril 1999] […]

[Ainsi,] les zones franches industrielles […] dont le nombre est en explosion [sont] peut-être le dernier endroit de la planète où les supermarques gardent un profil bas. […] " (pp. 246 et 248 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

L'explosion des Zones Franches Industrielles

" [Le] nombre [des zones franches industrielles] est en explosion. […]

Aux Philippines […], 52 zones économiques emploient 459 000 personnes – contre 12 000 en 1986 et 229 000 en 1994. La plus grande économie de zones se trouve en Chine, où 18 millions de gens, au bas mot, travaillent dans 124 zones franches industrielles [Bureau international du travail, mai 1998]. Au total, estime le Bureau international du travail, 850 ZFI au moins […] se déploient dans 70 pays et emploient 27 millions de travailleurs. […]

En principe, les ZFI attirent des investisseurs étrangers qui, si tout va bien, décident de rester dans le pays, et les chaînes d'assemblage […] se changent en développement durable […].

A Cavite [aux Philippines], [les] cinq premières années de leur séjour, les sociétés bénéficient d'un "congé fiscal", toutes dépenses payées, durant lequel elles ne versent ni impôt sur le revenu ni taxe foncière. [… Au] Sri Lanka, […] les investisseurs peuvent passer 10 ans avant de devoir payer des taxes. […]

L'une des nombreuses et cruelles ironies de ces zones, c'est que chaque prime prodiguée par les gouvernements pour y attirer les multinationales ne fait que renforcer le sentiment que les sociétés sont bien des touristes économiques plutôt que des investisseurs à long terme. […]

[Afin] de soulager la pauvreté, les gouvernements consentent de plus en plus de primes […], cependant qu'à l'extérieur de la zone, la pauvreté ne fait que croître d'une façon de plus en plus désespérante. […]

L'engouement actuel pour les ZFI est fondé sur le prétendu succès des économies du tigre asiatique, surtout la Corée du Sud et Taïwan. Quand seuls quelques pays, comme ces derniers, étaient pourvus de zones, les salaires augmentaient régulièrement, des transferts de technologie avaient lieu et la taxation avait été graduellement introduite. Mais, s'empressent de souligner les critiques des ZFI, l'économie mondiale est devenue beaucoup plus concurrentielle depuis que ces pays sont passés à des industries exigeant des compétences plus élevées. Aujourd'hui, puisque 70 pays rivalisent pour les revenus issus des zones franches industrielles, les primes utilisées pour attirer les investisseurs augmentent, et salaires et normes sont maintenus en otage par les menaces de départ. Résultat : des pays entiers se transforment en bidonvilles industriels et en ghettos de main d'œuvre bon marché. […]

Selon le maire [de Rosario, aux Philippines], de nombreuses compagnies voient leurs congés fiscaux prolongés, à moins qu'elles ne ferment avant de rouvrir sous un autre nom, pour refaire le même parcours gratuit. "Elles ferment avant l'expiration du congé fiscal, puis redémarrent sous un autre nom, juste pour éviter de payer des taxes. Comme elles ne versent rien au gouvernement, nous sommes actuellement dans un dilemme", m'a dit Ricafrente. […]

Le maire est convaincu qu'il y aura toujours un pays – que ce soit le Vietnam, la Chine, le Sri Lanka ou le Mexique – prêt à courber encore plus bas l'échine. Entre-temps, les villes comme Rosario auront vendu leur population, compromis leur système d'éducation et pollué leurs ressources naturelles. " (pp. 248 à 255 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Conditions de travail et Salaires dans les Zones Franches Industrielles

" Quel que soit l'emplacement des ZFI, les récits des travailleurs sont d'une hallucinante gémellité : la journée de travail est longue – 14 heures au Sri Lanka, 12 en Indonésie, 16 dans le sud de la Chine, 12 aux Philippines. […] La direction fait montre d'un style militaire, les contremaîtres sont souvent grossiers, les salaires au-dessous du seuil de la subsistance, le travail fastidieux et peu spécialisé. […]

Certains employeurs gardent les toilettes cadenassées, sauf durant deux pauses de 15 minutes, au cours desquelles tous les travailleurs doivent pointer afin que l'administration puisse tenir compte de leur temps d'improductivité. Les couturières d'une usine de vêtements Gap, Guess et Old Navy m'ont dit qu'elles doivent parfois uriner dans des sacs de plastique, sous leurs machines. […]

Dans la zone de Cavite [Philippines], le salaire minimum est davantage considéré comme une vague indication que comme une loi. Au cas où 6 dollars par jour, ce serait encore trop cher, les investisseurs ont la possibilité de demander une exonération au gouvernement. Alors que certains travailleurs de zones gagnent le salaire minimum, la plupart – grâce aux exonérations gouvernementales – reçoivent moins. " (pp. 250-251 et 256 à 257 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

N'écoutez pas les agitateurs et les fauteurs de troubles !

" A une intersection centrale de la zone franche industrielle de Cavite, un grand panneau proclame : "N'ECOUTEZ PAS LES AGITATEURS ET LES FAUTEURS DE TROUBLES." Les mots sont en anglais, en capitales peintes d'un rouge vif, et chacun sait ce qu'ils signifient. Bien que les syndicats soient théoriquement légaux aux Philippines, il existe dans les zones une politique qui interdit la syndicalisation et les grèves, une politique tacite mais comprise par tous. [...]

[Ainsi, des] usines déjà syndiquées ont fermé leurs portes pour les rouvrir dans la zone franche industrielle de Cavite [...]. C'est ainsi que les produits Marks&Spencer étaient fabriqués dans une usine syndiquée du nord de Manille. "Il n'a fallu que dix camions pour amener Marks&Spencer à Cavite, m'a dit un organisateur syndical de la région. Le syndicat a été éliminé." " (pp. 258 à 260 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Salaires chinois contre Salaires étatsuniens et allemands

" Les associations syndicales s'accordent pour dire qu'en Chine, un salaire de subsistance, pour un travailleur de chaîne d'assemblage, serait d'environ 87 cents américains par jour. Aux Etats-Unis et en Allemagne, où les multinationales ont fermé des centaines d'usines textiles pour passer à la production en zone, les travailleurs du vêtement sont respectivement payés, en moyenne, 10 et 18,50 dollars américains l'heure [communiqué du Bureau international du travail, 28 octobre 1996]. Mais malgré ces énormes économies sur le plan de la main d'œuvre, ceux qui fabriquent des marchandises pour les marques les plus connues et les plus riches du monde refusent de verser à des travailleurs chinois les 87 cents qui assureraient leur subsistance, écarteraient la maladie et leur permettraient même d'envoyer un peu d'argent à leurs familles. En 1998, une étude sur la fabrication d'objets de marque dans les zones économiques spéciales de la Chine a révélé que [...] Nike, Adidas [...] ne versaient qu'une fraction de ces misérables 87 cents – certaines osant descendre à aussi peu que 13 cents l'heure. " (pp. 257-258 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

=> Il y a, dans ce passage, une incohérence. En effet, dans l'hypothèse de 10 heures travaillées par jour, 13 cents/heure = 130 cents/jour, soit plus que le salaire de subsistance revendiqué par les syndicats (87 cents/jour).

 

 

Usines hirondelles (de la Corée du Sud et Taïwan vers la Chine et l'Indonésie)

" Puisque les industries s'empressent de fuir l'augmentation des salaires, les réglementations sur l'environnement et les taxes, les usines sont conçues pour être mobiles. Certaines de ces usines hirondelles en sont peut-être à leur troisième ou quatrième migration et, comme le souligne clairement l'histoire de la sous-traitance, elles se posent toujours plus légèrement à chaque nouvelle halte. [... A] Pusan, en Corée du Sud – surnommée, dans les années 1980, "la capitale mondiale des baskets" –, des entrepreneurs coréens dirigeaient des usines pour Reebok, L.A. Gear et Nike. Mais lorsque, dans les années 1980, des ouvriers coréens commencèrent à se rebeller contre leurs salaires de un dollar par jour et formèrent des syndicats afin de se battre pour de meilleures conditions, les hirondelles s'envolèrent à nouveau. Entre 1987 et 1992, 30 000 emplois d'usine disparurent dans les zones franches industrielles de la Corée [...]. Même histoire à Taïwan. Les schémas d'itinérance des fabricants de Reebok sont clairement identifiés. En 1985, Reebok produisait presque toutes ses baskets en Corée du Sud et à Taïwan, et aucune en Indonésie et en Chine. Dès 1995, presque toutes ces usines s'étaient envolées de la Corée et de Taïwan, et 60 pour cent des contrats de Reebok avaient atterri en Indonésie et en Chine. " (p. 271 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Les Sweatshops

" En mai 1996, des activistes américains du travail découvrirent que [des vêtements de sport vendus chez Wal-Mart étaient confectionnés] au Honduras par des enfants et à New York par des travailleurs de sweatshops illégaux. [...]

Mickey dut révéler l'existence de ses sweatshops après qu'un entrepreneur pour Disney à Haïti eut été surpris à fabriquer des pyjamas Pocahontas dans des conditions si déplorables que les travailleuses devaient nourrir leurs bébés à l'eau sucrée.

D'autres scandales éclatèrent après la diffusion par le réseau NBC d'une enquête sur Mattel et Disney, quelques jours seulement avant Noël 1996. A l'aide de caméras cachées, le reporter révélait qu'en Indonésie et en Chine, des enfants travaillaient dans des conditions de quasi-esclavage. [...]

En juin 1996, le magazine Life provoqua d'autres vagues avec des photographies d'enfants pakistanais – l'air terriblement jeunes et payés la misère de 6 cents de l'heure – penchés sur des ballons de football qui portaient l'inévitable swoosh de Nike. Mais la marque Nike n'était pas la seule concernée. Adidas, Reebok, Umbro, Mitre et Brine, tous fabriquaient des ballons au Pakistan, où l'on estimait à 10 000 le nombre d'enfants au travail dans ses usines, dont beaucoup étaient vendus comme esclaves sous contrat à leurs employeurs, et marqués comme du bétail. [...]

En mars 1996, le New York Times rapporta qu'après une grève risquée dans une usine javanaise, 22 travailleurs furent congédiés ; un homme, qui avait été désigné comme étant un des organisateurs, fut enfermé dans une pièce de l'usine et interrogé pendant sept jours par des soldats. [...]

Pour l'Amérique, la question devint évidente en août 1995, lorsque le Département américain du Travail procéda à une descente dans un complexe d'appartements d'El Monte, en Californie. Soixante-deux travailleuses thaïes du vêtement étaient détenues en esclavage et enchaînées, dont certaines depuis sept ans. Le propriétaire de l'usine était un protagoniste mineur de l'industrie, mais les vêtements que les femmes cousaient étaient vendus par des géants de la vente au détail, tels que Target, Sears et Nordstrom. [...]

En février 1999, un nouveau rapport révéla que les travailleurs assemblant des vêtements Disney dans plusieurs usines chinoises gagnaient la misère de 13,5 cents de l'heure [...].

En mai 1999, l'équipe de l'émission d'ABC 20/20 retourna à l'île Saipan et ramena des prises de vue de jeunes femmes enfermées dans des usines de sweatshops, cousant pour Gap, Tommy Hilfiger et Polo Ralph Lauren. " (pp. 388-389 et 392 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

L'incendie de la Kader

" [Au mois de mai 1993,] l'usine de jouets Kader, à Bangkok, fut détruite par le feu. L'édifice constituait une souricière par excellence, et [...] les flammes coururent à travers l'usine fermée à clé, tuant 188 travailleuses et en laissant 469 autres dans un état grave. L'incendie de la Kader fut le pire de l'histoire de l'industrie [...]

[Six] mois après la Kader, un autre incendie dévastateur dans un sweatshop – à l'usine de jouets de Zhili, à Shenzhen, en Chine – [a] coûté la vie à 87 travailleurs.

A l'époque, la communauté internationale n'eut pas l'air de bien saisir que les jouets que les femmes de la Kader avaient assemblés étaient destinés aux joyeuses allées de Toys'R'Us, à être emballés et placés sous des arbres de Noël en Europe, aux Etats-Unis et au Canada. " (pp. 393 et 395 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Le cri des travailleurs de sweatshops de Disney

" Dans une lettre à Michael Eisner [PDG de Disney], [Kernaghan, directeur du National Labor Comittee] décrit une réaction typique : "Avant de partir pour Haïti, je me suis rendu dans un magasin Wal-Mart de Long Island, et j'ai acheté plusieurs vêtements Disney fabriqués à Haïti. Je les ai montrés à la foule de travailleurs, qui ont immédiatement reconnu les vêtements qu'ils avaient fabriqués. [...] J'ai brandi un t-shirt Pocahontas de taille 4. Je leur ai montré l'étiquette Wal-Mart indiquant 10,97 dollars. Mais ce n'est que lorsque j'ai traduit ces 10,97 dollars en monnaie locale – 172,26 gourdes – que, d'un seul coup, à l'unisson, les travailleurs ont hurlé d'indignation, d'incrédulité, de colère, dans un mélange de douleur et de tristesse, les yeux fixés sur le t-shirt Pocahontas. [...] Chaque jour, ils travaillaient sur des centaines de t-shirts Disney. Et pourtant, le prix de vente d'un seul de ces t-shirts, aux Etats-Unis, équivalait pour eux à presque cinq journées de salaire !"

L'instant où les travailleurs haïtiens de Disney poussèrent un cri d'incrédulité fut capté sur bande vidéo par l'un des collègues de Kernaghan, et inséré dans le documentaire Mickey Mouse Goes to Haiti, produit par le NLC. Depuis lors, le documentaire a été montré dans des centaines d'écoles et de centres communautaires, en Amérique du Nord et en Europe, et de nombreux jeunes militants estiment que cette scène a joué un rôle crucial dans leur décision de participer à la lutte mondiale contre les sweatshops. " (p. 416 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Les multinationales se fixent des codes de bonne conduite

" Dès que des multinationales telles que Nike, Shell, Mattel et Gap ont cessé de nier l'existence d'exactions commises sur leurs sites de production et d'extraction de ressources, elles se sont mises à rédiger chartes de principes, codes d'éthique, notes de service exaltant leur ouverture d'esprit, et autres signes de bonne volonté qui ne les liaient absolument pas sur le plan juridique. [...] Si un client fouineur voulait savoir comment avaient été fabriqués tel ou tel produit, le service des relations publiques se contentait de lui envoyer un exemplaire du code [...].

Quand on prend connaissance de ces codes, il est difficile de ne pas se laisser emporter par l'idéalisme exalté qu'ils véhiculent. Ces documents renvoient à leur lecteur l'image d'une innocence parfaite [...] et on peut bien excuser le lecteur de se demander, ne serait-ce qu'un instant, s'il ne s'agit pas tout simplement, comme l'affirment les compagnies, d'un grave malentendu, d'une "crise de communication" [...].

Les codes de conduite sont d'une redoutable subtilité. A la différence des lois, ils ne sont pas applicables. Et à la différence des contrats syndicaux, ils n'ont pas été rédigés en collaboration avec des administrateurs d'usine pour répondre aux exigences et aux besoins des employés. Tous, sans exception, ont été rédigés par des services de communication, du côté de New York et de San Francisco, au lendemain immédiat d'une embarrassante enquête médiatique : le code Wal-Mart arriva après que l'on eut appris que ses usines du Bangladesh faisaient appel au travail des enfants ; le code Disney suivit les révélations à propos d'Haïti ; Levi's élabora sa politique après le scandale du travail des prisonniers. Leur premier but n'était pas de réformer, mais de "museler les associations de surveillance des usines à l'étranger", ainsi que suggéra à ses clients Alan Rolnick, avocat de l'Association américaine des fabricants de vêtements. [...]

Lorsqu'il devint clair que la futilité de ces codes de conduite n'était en rien susceptible de faire taire le mécontentement (et l'avait peut-être même exacerbé), plusieurs multinationales passèrent à une variété plus avancée de code d'entreprise [puisque certains] furent rédigés en collaboration avec des associations de défense des droits de l'homme ou des experts occidentaux en investissement responsable. " (pp. 501-502 et 504 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

" Nestlé tue les bébés ! "

" L'aïeule des actions menées contre des marques est le boycott de Nestlé, lequel connut son apogée à la fin des années 1970. L'entreprise suisse s'était retrouvée sur la sellette pour avoir agressivement vendu un coûteux substitut, "plus sûr", au lait maternel pour les nourrissons du Tiers-Monde. [... Le] problème n'avait pas vraiment attiré l'attention avant que la société alimentaire n'eût commis l'erreur de poursuivre en justice un groupe de militants suisses [...] en 1976. [...Le] procès qui s'ensuivit plaça Nestlé sous les feux d'un examen scrupuleux qui aboutit à une campagne internationale de boycottage, lancée en 1977. " (p. 397 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Pepsi et la Birmanie

" [Des] membres du Public Interest Research Group [...] – un réseau d'organisations universitaires de justice sociale répandu à travers toute l'Amérique du Nord – découvrirent que PepsiCo produisait et vendait des boissons gazeuses en Birmanie [... Ils] firent passer une note à propos de l'implication de Pepsi en Birmanie sur quelques forums électroniques portant sur les questions étudiantes. Peu à peu, d'autres universités dont Pepsi était la boisson officielle commencèrent à demander plus d'informations. [...]

En conséquence de quoi, en avril 1996, Harvard rejeta un contrat pour distributeurs de un million de dollars avec Pepsi, invoquant les investissements de la compagnie en Birmanie. Stanford coûta à Pepsi environ 800 000 dollars lorsqu'une pétition signée par 2 000 étudiants bloqua la construction d'un restaurant Taco Bell, filiale de Pepsi. [...]

Après que les boycotts des campus eurent atteint les pages du New York Times, Pepsi vendit les actions qu'elle possédait dans une usine d'embouteillage incriminée en Birmanie, dont le propriétaire, Thien Tun, avait publiquement réclamé que le mouvement démocratique de Suu Kyi soit "ostracisé et écrasé". [...]

Face aux pressions continuelles, Pepsi finit par annoncer son "désengagement total" de la Birmanie, le 24 janvier 1997. " (pp. 471-472 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

 

Birmanie : Un boycott efficace...

...suivi d'une contre-attaque victorieuse des multinationales

" Bien entendu, plusieurs compagnies ont cédé devant les exigences des militants des droits de l'homme. Depuis que le Massachusetts a adopté sa loi sur la Birmanie, en juin 1996, la dictature a connu un exode des grandes multinationales : Eastman Kodak, Hewlett-Packard, Philips Electronics, Apple Computer et Texaco. [...]

Une coalition de sociétés, dont des investisseurs clés en Birmanie, tel Unocal, ou des investisseurs au Nigeria, comme Mobil, s'est formée [...] pour lancer un assaut en règle contre les ententes locales d'achat sélectif [en clair : le boycott]. En avril 1997, [cette coalition] a constitué USA*Engage, qui prétend représenter plus de 670 sociétés et associations commerciales. Son but explicite est de lutter collectivement contre ces lois [d'achat sélectif].

A cette fin, USA*Engage a établi une "liste de surveillance [...]" afin de surveiller toutes les villes et Etats ayant adopté des accords d'achat sélectif, ou les collectivités qui envisagent de les adopter [...]. Le lobbying agressif des membres de USA*Engage a déjà réussi à mettre en pièces un projet de loi sur le Nigeria qui était sur le point d'être adopté par l'Etat du Maryland (en mars 1998) ; et la société Unocal [...] a réussi à convaincre [...] l'Etat de Californie de ne pas adopter de loi sur la Birmanie, comme l'avait fait le Massachusetts.

Les attaques sont également venues de loin. Agissant au nom de multinationales établies en Europe, l'Union Européenne a officiellement défié la Loi du Massachusetts sur la Birmanie au sein de l'Organisation mondiale du commerce. Elle prétend que la loi violerait une réglementation de l'OMC interdisant que les achats gouvernementaux soient effectués sur une base "politique". [...]

En avril 1998, le National Foreign Trade Council [la coalition dont il est question plus haut] intenta une action auprès du tribunal [...] pour déclarer inconstitutionnelle la Loi du Massachusetts sur la Birmanie. Le NFTC prétendait que "la loi du Massachusetts sur la Birmanie constitue une ingérence directe dans le pouvoir souverain du gouvernement national concernant la politique étrangère [et] établit une discrimination envers les sociétés engagées dans le commerce à l'étranger [...]". [...] Et, en novembre 1998, le NFTC l'emporta : le tribunal jugeait inconstitutionnelle la Loi du Massachusetts sur la Birmanie, parce qu'elle "défie d'une façon inadmissible le pouvoir du gouvernement fédéral de réglementer les affaires étrangères" [Associated Press, 5 novembre 1998]. " (pp. 483 à 485 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

La loi donne encore raison aux multinationales dans l'affaire Shell contre Vancouver

" En 1989, vers la fin du boycott de l'apartheid, Vancouver adopta une résolution d'achat sélectif interdisant l'usage de l'essence Shell dans ses véhicules municipaux, en raison des relations controversées de la compagnie avec l'Afrique du Sud. [...] Mais Shell Canada décida d'attaquer en justice la Ville de Vancouver pour discrimination. L'affaire traîna pendant presque cinq ans et, en février 1994, la Cour suprême du Canada statua, à cinq voix contre quatre, en faveur de Shell. Le juge John Sopinka écrivit que le conseil avait en effet fait preuve de discrimination à l'encontre de Shell [...]. " (p. 487 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

51 multinationales parmi les 100 premières économies mondiales

" Nous connaissons tous les statistiques : des sociétés comme Shell et Wal-Mart jouissent de budgets plus élevés que le produit intérieur brut de la plupart des pays ; sur les 100 premières économies mondiales, 51 sont des multinationales et seulement 49 sont des pays. " (p. 401 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

1986 : Abolition de la commission des Nations Unies sur les transnationales

" Un revers important survint en 1986, quand le gouvernement américain réussit à abolir la discrète Commission des Nations Unies sur les sociétés transnationales. Lancée au milieu des années 1970, la commission avait entrepris d'élaborer un code de conduite universel pour les multinationales. Son objectif était d'empêcher les abus commerciaux, tel le déversement dans le Tiers-Monde, par des sociétés, de drogues illégales en Occident ; d'examiner l'impact sur le plan écologique et humain des zones franches industrielles et de l'extraction des ressources ; et d'inciter le secteur privé à une plus grande transparence et à une plus grande responsabilité. [...] Dès le départ, l'industrie américaine s'opposa à sa création et, dans l'obsession maniaque de la guerre froide, elle parvint à assurer le retrait de son gouvernement, sous prétexte que la commission était un complot communiste et un organe d'espionnage des Soviets. " (pp. 403-404 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Syndicaliste chez McDo ?

" [En] 1994, lors d'une campagne de syndicalisation en France, 10 cadres de McDonald's furent arrêtés pour infraction aux lois sur le travail et aux droits syndicaux. [...] En 1997, alors que les employés du Wal-Mart et de Windsor, en Ontario, se préparaient à voter pour ou contre la syndicalisation, la direction émit intentionnellement une série de signes incitant de nombreux travailleurs à croire que s'ils votaient pour, le magasin fermerait. [...]

D'autres chaînes ont recouru sans hésiter à des menaces de fermeture. En 1997, Starbucks décida de fermer son usine de distribution de Vancouver après que les travailleurs se furent syndiqués. En février 1998, au moment même où l'accréditation syndicale d'un McDonald's de la région de Montréal était soumise à la Commission du travail du Québec, le propriétaire de la franchise ferma le restaurant. [...] Six mois plus tard, les employés d'un autre McDonald's [...], en Colombie-Britannique, [...] furent autorisés à se syndiquer. [...] Le restaurant demeure ouvert, et c'est le seul McDonald's syndiqué de toute l'Amérique du Nord, mais au moment où ces lignes étaient écrites, la société tentait de faire annuler l'accréditation du syndicat. " (pp. 289-290 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Flexibilité

" Plus que tout autre commerce, Starbucks est précurseur dans l'art moderne de l'horaire souple. La compagnie a créé un logiciel appelé Star Labor, qui donne au siège social un contrôle maximal, à la minute près, sur les horaires des commis. [...] Comme l'explique Laurie Bonang [employée chez Starbucks] : "Ils vous donnent un niveau de compétence arbitraire, de un à neuf, ils entrent vos disponibilités, le temps que vous avez déjà passé là, les heures de pointe où ils ont besoin de plus de personnel, et l'ordinateur vous crache votre horaire." [...]

Wal-Mart a adopté un système d'horaires tout aussi centralisé, qui réduit les heures des employés en les faisant concorder précisément avec la fréquentation du magasin. [...]

Malgré des profits de un milliard de dollars en 1996, UPS comptait 58 pour cent de travailleurs à temps partiel, et avait rapidement recours à une main d'œuvre encore plus "flexible". [...] Pour la compagnie de messagerie, ce système fonctionnait à merveille, lui permettant de gérer les pics et les creux de son cycle de travail puisque la collecte et la livraison du courrier se font principalement le matin et le soir. " (pp. 292-293 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Stages non rémunérés

" A propos de son ancien emploi, qui impliquait l'embauche de stagiaires non rémunérés pour envoyer des fax et faire des courses pour le magazine Men's Journal, Jim Frederick fait remarquer qu'un grand nombre de ses candidats avaient déjà travaillé à l'œil pour Interview, CBS News, MTV, The Village Voice, et ainsi de suite. [...] Bien entendu, ces conglomérats [...] prétendent offrir généreusement à des jeunes une précieuse expérience dans le difficile marché de l'emploi – un pied dans la place, selon le bon vieux modèle de l'"apprentissage". [...]

MTV, aux Etats-Unis, et MuchMusic, au Canada, figurent parmi les compagnies qui abusent outrageusement du système de stages non rémunérés, surtout si l'on considère les énormes bénéfices dont elles se targuent. [...] Les principales dépenses sont affectées aux présentateurs, soutenus par quelques réalisateurs et techniciens et, bien entendu, par les stagiaires non rémunérés. L'objet de ces stages reste souvent obscur : à coup sûr, des jeunes n'ont aucune chance ou presque de décrocher un emploi dans une station de vidéoclips, puisqu'il y en a très peu. Là interviennent les légendaires réussites – le célèbre présentateur de vidéoclips qui a commencé par répondre au téléphone, ou l'histoire de la plus grande réussite de stagiaire entre toutes : celle de Rick l'intérimaire. En 1996, Rick remporta le concours annuel "Devenez intérimaire à MuchMusic" [...]. Un an plus tard, Rick était à l'écran, dans son nouvel emploi de présentateur de vidéoclips [...]. Trois ans plus tard, Rick interviewait pour la télé les Backstreet Boys, Hanson ou All Saints [...]. " (pp. 294 à 296 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Intérim : quelques chiffres

" Aux Etats-Unis, l'utilisation [de la main d'œuvre intérimaire] a augmenté de 400 pour cent depuis 1982 [...]. Depuis 1992, les revenus des sociétés d'intérim américaines ont augmenté d'environ 20 pour cent par année [...].

La France [...] est en deuxième position, après les Etats-Unis, dans le recours aux intérimaires [...]. Et, bien que le travail intérimaire en France ne représente que 2 pour cent du total des emplois, "86 pour cent des nouvelles embauches sont des contrats à durée déterminée", selon Martine Aubry, ministre du Travail. " (pp. 296-297 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

" [Les] salaires des travailleurs intérimaires aux Etats-Unis ont baissé, en moyenne, de 14,7 pour cent entre 1989 et 1994. " (p. 305 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Des intérimaires chez Microsoft

" [En 1990,] le fisc américain a contesté la classification [d'entrepreneurs indépendants] que Microsoft attribuait [à une certaine catégorie d'intérimaires], estimant que ces gens étaient bel et bien des employés de Microsoft et que la compagnie devrait s'acquitter de charges patronales. [...] En juillet 1997, [...] une Cour d'appel de 11 juges estima que les pigistes étaient des employés au sens de la common law et qu'ils avaient droit au programme d'allocations de la compagnie, à son fonds de retraite et à son régime de stock-options.

[La réponse de Microsoft fut] de s'appliquer d'une façon plus soutenue à marginaliser les intérimaires. [Maintenant, lors de l'embauche,] Microsoft repère [...] les candidats potentiels, fait passer les entrevues et fait son choix ; puis, les futurs employés doivent s'inscrire dans l'une des cinq agences de personnel qui ont conclu des accords spéciaux avec la compagnie. Les intérimaires sont alors embauchés par l'agence qui joue le rôle d'employeur officiel, réduit les salaires, retient les impôts à la source et accorde le plus souvent des avantages sociaux [réduits] à leur plus simple expression. [...] Pour que les intérimaires ne soient plus jamais confondus avec les véritables travailleurs de Microsoft, ils ne participent plus aux réceptions de la compagnie, et sont privés de soirées pizzas et autres fêtes. En juin 1998, la société mit en place une nouvelle règle obligeant les intérimaires en poste depuis plus d'un an à prendre 31 jours de vacances avant d'assumer un autre poste "temporaire". " (pp. 300-301 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Le salaire des PDG

" [Les] salaires des P.D.G. ont décuplé durant les années d'implacables mises à pied. Ira T. Kay, auteur de CEO Pay and Shareholder Value (Salaire des P.D.G. et valeur des actionnaires), souligne dans un article du Wall Street Journal que le salaire exorbitant que versent les sociétés américaines à leurs P.D.G. est "un facteur crucial qui rend l'économie américaine plus concurrentielle dans le monde" parce que, sans ces primes appétissantes, les chefs d'entreprises n'auraient "pas la motivation économique nécessaire pour affronter les décisions administratives, telles les mises à pied. [...Aux Etats-Unis], selon la centrale syndicale AFL-CIO, "les P.D.G. des 30 sociétés ayant annoncé les plus nombreuses mises à pied ont vu leurs salaires, primes et compensations à long terme augmenter de 67,3 pour cent". " (p. 306 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Pour un droit de réponse aux publicités

" Les rues sont des espaces publics [...], et puisque la plupart des résidents ne peuvent se permettre d'entraver les messages des grandes sociétés en achetant leurs propres annonces, ils devraient avoir le droit de répondre à des images qu'ils n'ont jamais demandé de voir. " (p. 334 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Ces personnes qui ont refusé de faire de la pub

" Le groupe engagé britannique Chumbawamba refusa un contrat de 1,5 million de dollars qui aurait permis à Nike d'utiliser son tube Tubthumping dans un message publicitaire de la Coupe du monde de football [...] ; au centre du rejet résidait la question de l'utilisation de main-d'œuvre de sweatshops par Nike. "On a tous refusé en moins de 30 secondes", dit Alice Nutter, membre du groupe.

Le poète engagé Martin Espada reçut lui aussi un appel de l'une des [...] agences de Nike [...]. Espada refusa tout net, déclinant une foule de raisons dont celle-ci, la dernière : "En définitive, cependant, je rejette votre offre pour protester contre les pratiques brutales de travail de la compagnie. Je ne m'associerai pas à une entreprise qui s'engage dans l'exploitation bien connue d'ouvriers de sweatshops." [...]

[En] mai 1999, [...Nike] approcha Ralph Nader – le plus puissant leader du mouvement de défense des consommateurs, héros populaire depuis ses attaques contre les multinationales – en lui demandant de participer à une pub de Nike. L'idée était simple : Nader allait recevoir 25 000 dollars pour tenir une Nike Air 120 en disant : "Message de Nike, voici une autre tentative éhontée de vendre des chaussures." " (pp. 358-359 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Ken Saro-Wiwa, exécuté pour avoir mené campagne contre Shell

" [L']événement le plus significatif de la montée du militantisme contre les grandes sociétés survint en 1995, lorsque le monde perdit Ken Saro-Wiwa. L'éminent écrivain et leader écologiste nigérian fut emprisonné par le régime oppressif de son pays pour avoir mené la campagne des Ogonis contre les effets dévastateurs, sur l'homme et l'environnement, du forage pétrolier de la Royal Dutch/Shell dans le delta du Niger. Les associations des droits de l'homme se regroupèrent pour que leurs gouvernements interviennent, et certaines sanctions économiques furent imposées, sans guère d'effets. En novembre 1995, Saro-Wiwa et huit autres activistes ogonis furent exécutés par un gouvernement militaire qui s'était enrichi avec l'argent du pétrole de Shell et de la répression contre son propre peuple. " (p. 392 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Une citation de George Orwell

" La publicité, c'est le bruit d'un bâton dans une auge à pâtée pour les porcs. " (George Orwell, cité p. 360 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Conseil aux publicitaires

" Helen Woodward, influente rédactrice publicitaire des années 1920, [conseilla] à ses collègues : "Quand vous faites la publicité d'un produit, n'allez jamais voir l'usine dans laquelle il a été fabriqué. Ne regardez pas les gens au travail... car, voyez-vous, lorsque vous savez la vérité sur quoi que ce soit, la vraie, l'intime vérité – il est très difficile de produire les propos frivoles et superficiels qui servent à le vendre." " (pp. 407-408 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Quelques chiffres sur Nike, Disney et celles/ceux qui travaillent pour eux

" [Il] faudrait que l'ensemble des 50 000 travailleurs de la Yue Yuen Nike Factory, en Chine, travaillent pendant 19 ans pour gagner ce que Nike dépense annuellement en publicité. [...]

Michael Eisner, P.D.G. de Disney gagne 9 793 dollars l'heure, tandis qu'un travailleur haïtien gagne 28 cents l'heure ;

il faudrait à un travailleur haïtien 16,8 années pour gagner le revenu horaire d'Eisner ;

les 181 millions de dollars en stock option d'Eisner en 1996 permettraient d'entretenir ses 19 000 travailleurs haïtiens et leurs familles pendant 14 ans. " (pp. 414-415 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Greenpeace contre McDonald's : Le procès McLibel

" Le dépliant en cause fut publié pour la première fois en 1986 par Greenpeace Londres [...]. Il constituait l'un des premiers exemples d'intégration de l'ensemble des problèmes sociaux : l'épuisement des forêts tropicales (pour l'élevage du bétail), la pauvreté dans le Tiers-Monde ([...] expulsion des paysans de leurs fermes [remplacés] par des cultures destinées à l'exportation dans le cadre des besoins en bétail de McDonald's), la cruauté envers les animaux (le traitement du bétail), la production de déchets (l'invasion de l'emballage jetable), la santé (les aliments gras et frits), les mauvaises conditions de travail (la politique des salaires faibles et le démantèlement des syndicats [...]) et la publicité fondée sur l'exploitation (des enfants coeur de cible chez McDonald's).

Lorsque McDonald's assigna en justice cinq activistes de Greenpeace, en 1990, pour répondre du contenu du dépliant désormais célèbre, trois d'entre eux firent ce que feraient la plupart des gens s'ils étaient confrontés à la perspective de s'opposer à une société pesant 11 milliards de dollars : ils présentèrent leurs excuses. La compagnie avait longtemps utilisé cette stratégie avec succès. [...] Pendant 313 journées en cour – le plus long procès de l'histoire de l'Angleterre –, un postier au chômage (Morris) et une jardinière engagée dans le travail communautaire (Steel) partirent en guerre contre les cadres supérieurs du plus grand empire alimentaire du monde.

Tout au long du procès, Steel et Morris argumentèrent méticuleusement sur les affirmations du tract, une à une, à l'aide d'experts nutritionnistes et environnementaux et en prenant appui sur des études scientifiques. Avec 180 témoins appelés à la barre, la société subit humiliation sur humiliation, à mesure que le tribunal entendait des récits d'empoisonnements alimentaires, d'heures supplémentaires non rémunérées, de recyclages bidon et d'espions commerciaux envoyés pour infiltrer les rangs de Greenpeace Londres. Lors d'un incident particulièrement révélateur, des cadres de McDonald's furent mis au défi de démontrer la validité de l'affirmation selon laquelle la société servait des "aliments nourrissants" : David Green, premier vice-président, marketing, fit valoir l'opinion que le Coca-Cola était nourrissant parce qu'il "fournit de l'eau, et je crois que cela fait partie d'un régime équilibré". Au cours d'une autre discussion embarrassante, Ed Oakley, cadre chez McDonald's, expliqua à Steel que les ordures de McDonald's empilées dans des sites d'enfouissement constituaient "un avantage, sinon on se retrouverait avec pas mal de carrières de gravier inutilisées dans tout le pays".

Le 19 juin 1997, le juge finit par rendre son verdict. [...] Parmi les éléments de décision en faveur de Steel et de Morris, on pouvait relever le fait que McDonald's "exploite des enfants" en "les utilisant, puisqu'ils sont plus influençables par la publicité" ; que la manière dont la compagnie traite certains animaux est "cruelle" ; que la société est antisyndicale et verse des "salaires faibles" ; que sa gestion peut être "autocratique" et "largement injuste" ; et qu'un régime régulier de nourriture McDonald's contribue à augmenter les risques de maladies cardiaques. Steel et Morris reçurent l'ordre de verser à McDonald's des dommages de l'ordre de 95 490 dollars. Mais en mars 1999, un juge de la Cour d'appel [...] restreignit néanmoins le montant des dommages à 61 300 dollars. McDonald's n'a jamais tenté de réclamer son règlement et a décidé de surseoir à toute demande d'injonction afin de mettre un terme à la diffusion du tract. [...Avant] que McDonald's ne décide de l'attaquer en justice, la campagne de Greenpeace Londres s'essoufflait et quelques centaines d'exemplaires du tract brûlot avaient été distribués. Désormais traduit en 26 langues, le texte est devenu l'un des plus demandés du cyberespace. " (pp. 454 à 458 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

Boycott : Berkeley, ville modèle

" Au cours des quatre dernières années, le conseil municipal de Berkeley a adopté une si grande quantité de résolutions de boycott – contre des sociétés faisant des affaires en Birmanie, au Nigeria, au Tibet ; des sociétés associées à l'industrie de l'armement ou à l'énergie nucléaire – que la conseillère Polly Armstrong lança pour plaisanter : "Nous devrons bientôt effectuer nos propres forages pétroliers en mer." Il est vrai qu'entre les résolutions sur le Nigeria et la Birmanie, et ayant suivi le naufrage de l'Exxon Valdez, le conseil s'interdit de recourir à toutes les grandes sociétés pétrolières et dès lors est obligé d'alimenter ses ambulances et ses véhicules de nettoyage urbain avec du gaz provenant de l'obscure Golden Gate Petroleum Company. Berkeley, qui avait interdit les distributeurs municipaux Pepsi à cause de l'investissement de la compagnie en Birmanie, a renoué avec elle après qu'elle eut rompu ses liens avec Rangoon, avant de décider de boycotter Coca-Cola en raison de son implication au Nigeria. " (pp. 482-483 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud)

 

 

La mondialisation : une autre forme de colonisation

" "La mondialisation, ça n'a rien de nouveau. Nous l'avons toujours eue, la mondialisation", intervint Arnel Salvador, un [...] organisateur du [Centre d'assistance aux travailleurs, une association fondée pour soutenir le droit des travailleurs d'usines de lutter pour de meilleures conditions]. Les investisseurs étrangers [...] font partie de la longue et amère histoire de la colonisation aux Philippines : les espagnols y arrivèrent en conquérants, les Américains y établirent des bases militaires et firent de la prostitution adolescente l'une des plus grandes industries du pays. Maintenant que le colonialisme est mort et enterré, l'armée américaine s'est retirée et les nouveaux impérialistes sont les entrepreneurs taïwanais et coréens des zones franches industrielles, qui harcèlent sexuellement des Philippines de 18 ans aux chaînes d'assemblage. [...] Pour Arnel Salvador [...], les joies tant vantées de la mondialisation économique reviendraient plus ou moins au même : le patron a tout simplement troqué son uniforme militaire pour un complet italien et un portable Ericsson. " (pp. 513-514 de No Logo par Naomi Klein – 2001 – Actes Sud) 

 

 

 

 

 

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