Les "bio-pirates"
des laboratoires américains
sont déjà au travail
MAIN BASSE SUR LE CHIAPAS [titre]
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Les grands projets de développement élaborés à Mexico prévoient surtout de faire du Chiapas un eldorado pour les multinationales. Après leur longue marche sur la capitale, les zapatistes de Marcos auront-ils les moyens d'empêcher la confiscation des terres indiennes ?
[Les nouveaux desseins du gouvernement mexicain] ont été en partie dévoilés par Vicente Fox lui-même au lendemain de l'arrivée de Marcos à Mexico. Son Plan Puebla Panama (PPP) est censé amorcer enfin le démarrage économique des différents Etats constituant le grand Sud du Mexique [...]. Certes, dans son style particulier de champion du marketing, l'ancien patron de Coca-Cola a promis une meilleure qualité de vie pour tous les habitants d'une région qui regroupe les trois quarts de la population indienne du pays, la plus marginalisée jusqu'ici. Mais derrière ces belles paroles, [... les] spécialistes redoutent en fait l'implantation massive de maquiladoras (usines d'assemblage) appâtées par des aides financières et la possibilité de recourir à la main-d'œuvre la moins chère du pays. Ces maquiladoras – filiales d'entreprises étrangères – seraient chargées de drainer les indigènes aux abords des villes pendant que leurs terres, le plus souvent confisquées, seraient mises en valeur par d'autres, essentiellement des sociétés multinationales. Or le Chiapas se retrouve au cœur du Plan Puebla Panama. Et malgré les dénégations du gouvernement [...], il n'échappera pas aux secousses provoquées par une vague de privatisations qui vont permettre à des sociétés étrangères de mettre la main sur ses formidables richesses naturelles. [...] Véritable château d'eau, le cœur du Chiapas recueille 35% de l'eau mexicaine. Des études ont également décelé la présence de pétrole, d'uranium, ainsi que d'autres ressources stratégiques pour les décennies à venir. Mais sa plus grande richesse reste l'immense biodiversité offerte par ses forêts. Les centaines d'espèces de plantes et d'animaux que recèle son trésor vert constituent une véritable aubaine aussi bien pour les entreprises agroalimentaires – en quête d'OGM – que pour les groupes pharmaceutiques à la recherche de nouvelles molécules. Les ethnologues évoquent désormais un scénario "comme au Brésil" – où des dizaines de milliers d'Indiens ont été chassés de leurs terres parce qu'ils gênaient la réalisation de certains grands projets. [...] Pour Gustavo Castro, économiste au Centre de Recherches politiques et économiques de San Cristobal de las Casas, "[...] les entreprises qui vont répondre à l'appel d'offres du gouvernement pour les privatisations s'attendent à voir expulser les Indiens de leurs terres, comme cela s'est produit au Brésil et en Equateur". "Les 50 000 soldats présents au Chiapas n'auront de cesse de maintenir la population indienne loin des zones à fort potentiel", poursuit son collègue Onesimo Hidalgo [...]. Formés par l'US Army [...], ces hommes sont censés mener la vie dure aux trafiquants de drogue. [...] "Les soldats laissent passer la drogue colombienne, observe Onesimo Hidalgo. Ils semblent en fait se consacrer à leur nouvelle mission : préparer le terrain à l'exploitation des ressources naturelles par de grosses sociétés." Depuis 1994, l'armée mexicaine a parfaitement quadrillé le Chiapas. Ses quelque 250 postes, les routes qu'elle a construites et qu'elle contrôle, son matériel flambant neuf de conception américaine, ainsi que son "travail social" au sein des communautés indiennes lui assurent de formidables outils de renseignement. Dans la grande réserve biosphérique de Montes Azules, l'armée a ainsi commencé à déloger des groupes d'Indiens indésirables, tout près de différents laboratoires animés par des chercheurs américains et des experts de la société agroalimentaire mexicaine Pulsar, dirigée par Alfonso Romo, l'un des meilleurs amis de Vicente Fox. A l'ombre d'arbres séculaires pouvant atteindre 90 mètres de haut, les "bio-pirates" sont au travail. En blouse blanche et armés de microscopes, ils analysent des centaines d'espèces de plantes en vue de mettre au point les molécules qui feront la fortune des actionnaires des grands groupes pharmaceutiques. Avec de drôles de méthodes. Après avoir pillé les secrets des Indiens, les chercheurs identifient les ingrédients miracles avant de les faire breveter aux Etats-Unis. Conséquences : les Indiens ne pourront bientôt plus recourir à leurs remèdes végétaux sans payer des droits aux sociétés pharmaceutiques. Pour Ernesto Ledema, membre de l'ONG Global Exchange qui étudie tout particulièrement le rôle des grands groupes américains dans le cadre de la globalisation économique, "les chercheurs américains sont déjà en train de faire du Chiapas le plus grand laboratoire mondial en matière de bio-piratage et de recherches sur les OGM". Depuis quelque temps, Ernesto voit débarquer d'étranges personnages à San Cristobal de las Casas. Ce ne sont pas des touristes venus admirer les églises coloniales. Membres de la CIA ou du Département d'Etat américain, ces hommes sont en mission. "Ils viennent se faire une idée du niveau de connaissances de la population avant la vague de privatisations qui s'apprête à frapper la région. Nous les appelons "les vampires". Après Seattle, ils redoutent la cristallisation d'un nouveau foyer de résistance à leur politique. Ils sont trop heureux de tenir avec Fox leur meilleur agent en matière de globalisation. Alors ils ne voudraient pas qu'on leur gâche leur fête." Résister ? Ernesto sait bien que l'avènement du duo Fox-Bush n'annonce rien de bon pour la terre maya. Ces deux-là, issus du puissant sérail des hommes d'affaires, s'entendent à merveille et ne pensent qu'à faire de l'ensemble américain la plus vaste zone de libre-échange du monde. Grâce à eux, le big business américain entend imposer sa toute-puissance des glaciers d'Anchorage à la Terre de Feu. A un rythme accéléré. Au sommet des Amériques, à Québec, du 20 au 22 avril [2001], les deux chefs d'Etat devaient insister pour que l'horizon 2005 fixé pour la création de cette zone soit même avancé. On le voit, le nouveau "global combat" du sous-commandant Marcos, s'il l'accepte, promet d'être rude.
Laurent Bijard, pp. 64 et 66 du Nouvel Observateur n°1902 du 19 au 25 avril 2001. |
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